vendredi 28 février 2014

À toi, mon Liban - L'Orient-Le Jour

À toi, mon Liban

À toi qui m'as fait grandir. À toi qui m'as montré que la vie n'était pas rose. À toi qui m'as montré qu'entre noir et blanc, le gris a une infinité de tons.
Je me retrouve loin de toi aujourd'hui. Je suis à des kilomètres, avec des continents et des océans qui nous séparent. Mais je ne cesse de penser à toi, je ne cesse de me dire que tu aurais besoin de moi, que je pourrais t'aider...
Tu te demandes sûrement pourquoi j'ai décidé de te quitter. Tu te dis sûrement que je suis encore une de ces lâches personnes qui ont choisi leur confort et qui n'ont pas pris la peine de te donner une chance. Tu te dis sûrement que je ne suis pas digne de ton nom.
Je te dis, moi, que tu me manques, mais que tu m'as trop souvent fait mal. Tu m'as trop souvent privée de mes proches, tu m'as trop souvent pris mes proches. Tu m'as trop souvent déçue. Tu m'as trop souvent montré que tu n'étais pas assez mature.
Je ne sais plus si je devrais parler de toi de la sorte, ou plutôt de ton peuple. J'ai été éduquée, depuis mon plus jeune âge, par des parents et des professeurs qui n'ont sans cesse répété que j'étais ton futur, que ton indépendance et ta paix tenaient entre mes mains et celles de ma génération. J'ai toujours voulu grandir vite pour pouvoir te sauver, pour éviter que tu te blesses encore. J'ai grandi dans l'espérance qu'un jour tu iras mieux. Mes aînés ont grandi aussi, et comme moi, ils ont grandi dans cette idée. Mais personne n'a jamais rien fait. La seule chose qui s'est passée est que tu es tombé encore plus bas. Ne veux-tu pas te relever une fois pour toutes et rester debout ?
Comment trouver un avenir auprès de toi, sachant que chaque jour tu me prends mes proches et que je risque à n'importe quel moment de disparaître ? Sachant que j'ignore si ce soir je rentrerai dîner à la maison ou même si je rentrerai ce soir dîner avec toute la famille réunie ?
Je ne sais plus quoi te dire lorsque je vois la génération de l'avenir manifester dans tes rues en brûlant des pneus, en insultant tes politiciens et tes chefs de parti. Je ne sais plus quoi te dire quand ces mêmes personnes vont élire ces mêmes politiciens à chaque fois.
J'ai été éduquée avec des valeurs. Une d'elles m'a appris qu'une erreur répétée n'était plus une erreur. J'ai été éduquée dans des valeurs chrétiennes qui m'ont appris que lorsque l'on me gifle sur la joue gauche, je dois tendre la joue droite. Mais ma raison me dit : combien de fois vas-tu avoir mal ? Combien de gifles vas-tu recevoir ?
Tu me manques.Tes ruelles, ton odeur du café turc moulu de bon matin. Tes bonnes mana'ïche chaudes venues directement du furn et cette odeur de zaatar, tes knéfés et tes douceurs arabes, le vacarme de tes rues, tes klaxons pendant l'heure de la sieste, tes plages et montagnes, ta jeunesse dans les rues de Mar Mikhaël et de Gemmayzé... Jusqu'à tes trottoirs où l'on ne peut pas marcher à cause des excréments des chiens, l'odeur particulière de la pollution, tes problèmes d'électricité et d'eau, les jurons que l'on entend et que l'on prononce quand on conduit... Oui, tout ça me manque.
Mais tu m'as chassée. Tu m'as fermé la porte au nez, me disant que tu ne voulais plus être aidé. Tu m'as prouvé que, d'année en année, tu tombais de plus en plus.
Aujourd'hui, ton drapeau ne devrait contenir que du rouge, symbole de tout le sang de tes innocents que tu perds chaque jour.
À travers ces mots, je veux que tu saches que malgré ma déception, malgré mon départ que je ne peux te demander de me pardonner, je serai toujours là attendant le jour où tu décideras de te relever, et je serai la première à te faire avancer. Je ne t'ai pas abandonné, je te donne une chance, et je te donnerai toujours une dernière chance parce que je sais qu'au fond, tu veux mon bien, tu veux m'inculquer des valeurs encore plus fortes que celles que tu m'as déjà enseignées. Je le sais quand je vois cette minorité qui court de tous côtés pour t'aider.
Je le sais quand je vois tous ces jeunes se mobiliser pour reconstruire des quartiers que je ne sais qui a détruits.
Je le sais quand je vois tes fils et filles qui s'appliquent à trouver tes plus beaux sites et coins, et à en parler dans les médias. Je le sais quand je vois tes jeunes qui ne perdent pas le sourire.
Je le sais parce que tu me manques, que je ne cesse de penser à toi, je ne cesse de prendre de tes nouvelles et que j'ai toujours, au fond de moi, cet espoir qui me dit qu'un jour je reviendrai et que je t'aiderai à guérir. Je le sais, tout simplement, parce que, malgré les blessures et les cicatrices, je suis plus forte que ceux de ma génération qui vivent à l'étranger. Je le sais parce que ce que j'ai vécu avec toi m'a rendue plus forte, plus mature, plus solide.
J'attends juste le moment où tu accepteras de te faire aider. Je t'aime et je ne cesserai de t'aimer. Je reviendrai, je te le promets. Donne-moi ta main, fais-moi confiance et ensemble, nous te guérirons. Ensemble, nous hisserons tes voiles et nous naviguerons. Ensemble, nous saluerons haut ton cèdre enraciné dans tes belles montagnes.
Tu me manques, je t'aime et je t'attends.



Envoyé de mon Ipad 

samedi 22 février 2014

Mon Liban à moi - L'Orient-Le Jour 21/2/2014

Mon Liban à moi n'est plus. Il est en train de s'enfoncer dans un marasme absolu, dans une violence abjecte à plusieurs niveaux et dans une déliquescence politique malgré l'apparence d'un renouvellement.
Mon Liban à moi est cependant un grand et beau pays. Petit par sa taille mais si fort par son esprit, par son histoire, par ses habitants, toujours souriant en dépit des difficultés du quotidien, par ses paysages bibliques, par sa nourriture fabuleuse, par sa mer chaude et accueillante... Par tant de choses qu'on oublie trop souvent.
Ce Liban que j'ai connu n'est plus. À la place s'installent en son sein des nébuleuses plus bêtes les unes que les autres, faisant régner la terreur sans raison valable, faisant trembler sa population qui n'a rien demandé, transformant une atmosphère jadis sécurisée en terrain de jeu pour monstres sans foi ni loi. Et en tuant par centaines trop d'innocents. À la place s'y installent des polémiques douteuses, au sujet d'un sein de trop, mal placé ou trop en vue, au lieu de révoltes qui seraient les bienvenues contre des faits divers bien trop nombreux et provoquant la mort inutile de mères de famille sans défense. À la place, ce pays qui pouvait être si tolérant se transforme en table de ping-pong où la religion remplace la balle éjectée sans arrêt d'un côté puis de l'autre, n'arrivant jamais à s'en détacher.
À quand un pays où la religion aide à vivre les êtres humains dans la sphère privée et non à mourir sur la place publique ? À quand une véritable tolérance où les différences constitueraient une richesse absolue et un partage intelligent du savoir ? À la place, ce pays réputé pour la solidarité à toute épreuve de son peuple se transforme en un État où une femme en chaise roulante se voit interdire de voyager à cause de son handicap, où une très belle sportive qui n'a rien demandé se voit jugée comme si elle avait commis un crime contre l'humanité, où des milliers de personnes n'arrivent pas à se soigner, à s'éduquer et à vivre en paix tout simplement.
Quand vas-tu te réveiller, mon Liban ? Ne crois-tu pas que tu t'es assez laissé aller et laissé faire ? Ne crois-tu pas que toutes ces initiatives privées, certes honorables, pour t'aider à aller mieux et t'aider à enfin t'unifier sont finalement inutiles ? Ne crois-tu pas qu'il est temps d'arrêter de tendre le bâton pour te faire battre ? De donner de la matière à tes voisins et tes détracteurs à travers le monde ? Ne crois-tu pas qu'il est temps une fois pour toutes de donner un bon coup de pied à tous ces emmerdeurs ?
N'as-tu pas envie de retrouver une réelle sérénité ? Une joie de vivre comme ce fut le cas, même si de manière éphémère, il n'y a pas si longtemps ?
N'en as-tu pas assez de voir tes enfants partir ? De voir tes personnes âgées dépérir ? De voir tes voitures sauter, tes enfants se faire tuer, tes richesses s'évaporer ?
Mon cher Liban, je ne te reconnais plus. Quand vas-tu me revenir ? Je pense à toi tous les jours en espérant te revoir comme je t'ai aimé. En espérant te voir te relever et chasser pour de bons les parasites non désirés. La solution est en toi et en personne d'autre.
Mon Liban à moi, s'il te plaît, n'oublie jamais de te battre pour exister.



Envoyé de mon Ipad