mardi 22 octobre 2013

Si le Liban m’était conté | Opinions | L'Orient-Le Jour

Si le Liban m'était conté
Avant de créer la terre, le Seigneur fit d'abord le Liban comme prototype de perfection... Il est de fait que notre Liban présente un contraste étrange avec le reste du Moyen-Orient. Il ne ressemble à aucun de ses proches voisins, ne vote ni ne réagit comme eux.
Dans une région caractérisée par des déserts plats, brûlants et sans eaux abondantes, ses forêts encore oasis de fraîcheur, avec ses montagnes de plus de 3000 mètres, ses eaux abondantes, ses forêts encore verdoyantes malgré les incendies. Son manteau de neige abondante est d'une telle profusion que le pays depuis plusieurs décennies est devenu un centre de sports d'hiver. On peut se croire en Suisse ou sur la Riviera et l'on n'est point surpris de s'entendre dire que, selon une légende libanaise, c'est là que se trouvait le paradis terrestre et non sur ce territoire aujourd'hui tellement désolé de l'Irak où, généralement, on le situait. Jamais les habitants de l'antique Phénicie n'ont rompu les liens qui, depuis les croisades, les unissent à l'Occident et aujourd'hui à l'Orient. Les habitants du Liban se disent arabes, parlent l'arabe et font partie de la Ligue arabe au même titre que les autres habitants des pays arabes. Le Liban est l'État du Proche-Orient où prédominent la chrétienté et l'islam, deux grandes communautés vivant ensemble, en union, la main dans la main.
De tous les pays arabes, le Liban est sans contexte le plus cultivé. Il est aussi le premier sur le plan culturel et le plus évolué sur le plan technique et commercial. Les femmes libanaises étaient les premières de tout le Moyen-Orient à obtenir le droit de vote. Le Liban possède, en outre, des bâtiments d'une architecture si hardie qu'on vient de l'étranger les étudier, immeubles ultramodernes construits après les années de guerre. Sa démocratie, de style occidental, est, en dépit de quelques imperfections, la mieux établie du monde arabe.

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Aucun autre sol au monde n'est sans doute plus riche en souvenirs historiques. Ici vécurent nos plus prestigieux ancêtres libanais, ceux qui s'appelaient cananéens, ainsi que les nomme également la Bible, et dont la plupart des historiens n'ont retenu que le nom ultérieur de «Phéniciens». Dans cet étroit mais opulent couloir s'élèvent nos métropoles: Tyr, Sidon et Byblos. Contiguë à cette bande côtière se trouve la région haute, rocailleuse, désolée et magnifique dont la Bible chante si souvent les louanges : les monts du Liban. À la neige qui les couronne, le pays tout entier doit son nom (qui procède de la racine verbale sémitique «laban», «être blanc») et les Libanais se disent encore, non sans fierté, «fils de la montagne». Et c'est sur ses flancs que croissait — et croît encore – le symbole national, le fameux cèdre du Liban auquel ce pays doit sa première mention dans l'histoire (on en trouve trace dans les hiéroglyphes égyptiens, vers l'an 2650 avant J-C, lorsqu'un pharaon fit venir de Phénicie 40 navires chargés de cèdres), la première chose que de nos jours demandent à voir les touristes étrangers.
Au-delà de cette montagne s'étend cette merveilleuse et haute vallée qu'est la Békaa, célèbre depuis le début des temps historiques pour son incomparable fertilité. On dit que Caïn et Abel y vécurent et la légende libanaise veut que l'arche de Noé s'y soit arrêtée. On vous y montrera même la tombe du patriarche.
La couche, la moins importante, stérile et désolée, produit bien peu. Mais c'est sur son territoire que court la frontière qui sépare le Liban de la Syrie et c'est là que naît le Jourdain, le fleuve sacré.
Baalbeck (l'ancienne Héliopolis), qui se dresse comme une cité de rêve au cœur de la vallée plate et riche de la Békaa, a de tout temps été une ville sainte. Selon la légende elle fut bâtie par Caïn centre trente-trois ans après la création et elle était peuplée de géants dont les péchés furent la cause du déluge. Ses temples magnifiques, dédiés à Jupiter, à Vénus, à Mercure, furent construits par les empereurs romains dès les Ier et IIe siècles après J-C. On dit d'eux, avec tout juste une légère pointe d'exagération, qu'ils étaient «les plus émouvants de tous les vestiges romains, y compris Rome elle-même». Ces ruines majestueuses constituent le plus étonnant des théâtres, où se déroule le Festival annuel de Baalbeck, qui chaque année (sauf exception en 2013) attire une foule plus en plus nombreuse. Les plus célèbres orchestres, musiciens et troupes théâtrales d'Europe y jouent dans l'incomparable décor de ces temples subtilement éclairés dans la nuit orientale.
Byblos (l'actuelle Jbeil) est aujourd'hui une petite ville côtière qui prétend être le lieu de la terre le plus anciennement habité en permanence. Les archéologues, en fouillant son sol, ont successivement mis au jour les traces de quantité de civilisations pour découvrir finalement des ruines datant d'au moins trois mille deux cents ans avant l'ère chrétienne. C'est du nom de cette ville que nous vient le mot «Bible». Byblos était célèbre jadis pour les papyrus qu'elle exportait et les Grecs avaient pris l'habitude de nommer «biblion» tous les livres en papyrus. Et, par un détour étymologique, l'appellation «le Livre» est devenu «la Bible».
L'Occident doit une incroyable quantité de bienfaits à cette minuscule bande côtière. Les Phéniciens en effet lui ont légué l'usage de la longitude, de la latitude et des cartes marines, ainsi que l'emploi de la pourpre pour les personnes de haut rang et probablement aussi la culture de l'olivier et de la vigne. Ils lui ont également transmis un système de numération duodécimal qui emploie 12 comme base au lieu de 10 et dont on retrouve trace dans les «12 pouces du pied de mesure», dans les «12 mois de l'année», «les 12 pence du shilling anglais». Ils ont même donné son nom à l'Europe, car, selon la mythologie, Europe était une princesse phénicienne.
Mais le plus important des dons que nous fit cette région de la terre, nous le retrouvons dans chacune des lettres que nous lisons et écrivons présentement: l'alphabet. Par ailleurs, le christianisme prit très tôt racine dans ce pays. Le Christ, se dirigeant vers le Nord, vint jusqu'à Sidon, ville près de laquelle «il chassa les démons du corps d'une jeune fille». Tyr se vantait de posséder la première communauté chrétienne qui ait reçu la visite de saint Paul, auteur des Épîtres, base de la théologie.
Depuis quatre mille ans les habitants de ce pays ont la réputation d'être avant tout des commerçants. Personne au monde, s'émerveillaient à dire les étrangers vivant à Beyrouth, ne peut battre un Libanais en affaires!
Les Libanais réussissent si bien dans le métier d'intermédiaire qu'ils répugnent à engager de gros capitaux à longue échéance pour un revenu relativement modeste, ce qu'exigerait par exemple l'équipement industriel du pays. C'est pourquoi le Liban ne possède que des industries légères : alimentation, confiserie, habillement, brasserie, grande quantité d'usines textiles, cimenterie, etc.
«Jetez une pierre sur n'importe quelle foule à Beyrouth, prétend un dicton, et vous êtes sûr d'atteindre au hasard un religieux ou un moine.» Il est de fait qu'il n'existe probablement pas de pays aussi petit qui présente une mosaïque aussi fantastique de religions, de rites et de sectes.
C'est, en dehors de Rome, la seule ville qui entretient une véritable armée d'archevêques, d'archimandrites, d'ulémas, d'imams et de patriarches. Le Liban est aujourd'hui la plaque tournante et la charnière du Moyen-Orient.

Sylvain THOMAS



Envoyé de mon Ipad 

vendredi 18 octobre 2013

Le Liban : géographie d’un Etat multiconfessionnel - Les clés du Moyen-Orient


LE LIBAN : GÉOGRAPHIE D'UN ETAT MULTICONFESSIONNEL ARTICLE PUBLIÉ LE 16/10/2013

Ce premier article de notre dossier sur le Liban s'attache à la cartographie des confessions religieuses.

Cette tâche n'est pas chose aisée, du fait de l'absence de recensement officiel depuis les années 1930, absence elle-même due au caractère multiconfessionnel du pays. La publication de données démographiques pourrait en effet entrainer des revendications de la part de certaines confessions et ainsi briser l'équilibre très fragile établi depuis la fin de la guerre civile (1975-1990). Pour cerner la répartition des confessions sur le territoire libanais (III), il est d'abord nécessaire de se pencher sur les racines historiques du multiconfessionnalisme (I), puis d'adopter un regard critique vis-à-vis des statistiques (II).

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Carte : Répartition des confessions religieuses au Liban sur la base des listes électorales de 2000


I – Les origines du multiconfessionnalisme

• Les origines historiques : Mont-Liban et villes côtières

La répartition des confessions religieuses est en grande partie liée à l'histoire et à la topographie du territoire libanais.

Les maronites, chrétiens d'Orient ayant refusé de s'inféoder au rite byzantin s'installent dès le Vème siècle dans les montagnes du Liban. Après les croisades, ils s'ouvrent sur l'Occident (ralliement à Rome au XIIème siècle). Cependant, ils gardent leurs particularités, comme le rite en langue syriaque ou arabe, et la localisation dans le Mont-Liban. Ils partagent d'ailleurs cet espace montagneux avec la communauté druze, qui pratique un rite dérivé de la branche ismaélienne, elle-même dérivée du courant chiite. Les Druzes se sont réfugiés dans la région du Chouf, au Sud du Mont-Liban, fuyant les persécutions réalisées contre les branches hétérodoxes de l'Islam, et ont développé une société féodale complexe. Enfin, la troisième communauté présente dans les montagnes est la communauté chiite. Ces trois communautés vivent en symbiose et connaissent leur apogée au XVIème siècle, avec l'avènement de ce qu'on pourrait voir comme la première entité politique libanaise : l'Emirat druze des maanides, qui culmine sous l'émir Fakhreddine (1590-1635).

A côté de cette société des montagnes, refuge des religions hétérodoxes, Georges Corm (1986) relève l'existence d'une société des villes en tous points opposée. Les villes situées sur le littoral de l'actuel Liban sont sous administration directe de l'Empire ottoman, et ne bénéficient pas de l'autonomie relative de la région montagneuse enclavée. Ces villes sont majoritairement peuplées par des sunnites et des grecs orthodoxes, comme toutes les villes du Moyen-Orient. Les villes ne commencent à accueillir des habitants des montagnes qu'à la fin du XIXème siècle.

C'est avec le mandat français après la Première Guerre mondiale, et la constitution du « Grand Liban » (le Liban actuel) que les villes côtières vont être rattachées à la montagne. C'est à partir de là que le confessionnalisme va s'institutionnaliser et devenir un fondement de la vie politique libanaise. Cela va accentuer les tensions au sein du pays, pour aboutir à la guerre civile, ce que nous verrons dans un prochain volet. Pour G. Corm, cette institutionnalisation du confessionnalisme, loin de permettre la coexistence pacifique entre les communautés, est le signal de la ruine du Liban. Désormais, le confessionnalisme sera un argument utilisé abondamment par les familles et les clans en lutte pour le pouvoir. Par ailleurs, il va contribuer à créer des représentations erronées, d'une part parmi les Libanais, engendrant la haine de l'autre, et d'autre part au sein de l'opinion mondiale, ayant des visions manichéennes simplificatrices.

• Un multiconfessionnalisme institutionnalisé

Sous le mandat français, une Constitution est promulguée en mai 1926. Celle-ci met en place un régime républicain, avec une Chambre des députés dont les sièges sont répartis en fonction des communautés. En novembre 1943, dans le contexte de l'attente de l'indépendance (accordée par la France en 1936 mais pas encore effective), le président maronite nouvellement élu, Becharra el-Khoury, et son président du Conseil sunnite, Riad es-Solh, engagent une réflexion qui aboutira au « Pacte national ». Celui-ci répartit les fonctions politiques et administratives entre les différentes confessions. Ainsi, le président de la République sera maronite, le président du Conseil, sunnite, et le président de la Chambre des députés, chiite. Le Pacte national est remis en cause avec la violente guerre civile, qui éclate en 1975.

Les élections se déroulent donc sur une base confessionnelle. Depuis les accords de Taëf (22 octobre 1989), conclus pour mettre fin à la guerre civile et réconcilier le pays, le Parlement se compose de 128 députés, 64 chrétiens et 64 musulmans. Parmi les députés chrétiens, il y a 34 députés maronites. Les députés musulmans comportent 27 chiites et 27 sunnites. Le territoire libanais est divisé en circonscriptions, les caza, remplacées partiellement par les mouhafazas (circonscriptions de plus grandes tailles) à partir des élections de 1992. Dans chaque circonscription, des places de députés sont réservées pour chaque communauté. Par exemple, les électeurs du caza du Chouf (Sud de Beyrouth) doivent élire trois députés maronites, deux députés druzes, deux députés sunnites, et un député grec catholique. Ainsi, il s'agit pour chaque député d'une confession de convaincre les électeurs de toutes les autres confessions, ce qui, pour Debié et Pieter (2003), augmente le clientélisme et favorise la mainmise de grandes familles sur la politique locale. Le découpage des circonscriptions est aussi dicté par des stratégies électorales liées aux confessions. Par exemple, dans le Sud-Liban, deux mouhafazat ont été réunis pour permettre l'élection plus facile de la liste Hezbollah-Amal (partis chiites).

II – Un imbroglio statistique

Avant d'étudier la répartition des confessions au Liban, il faut souligner la grande incertitude qui entoure l'évaluation de la population. Toutes les conclusions seront donc à prendre avec prudence et regard critique.

• L'absence de recensement

La principale raison de l'absence de recensement au Liban est la suivante : dans un pays où l'équilibre confessionnel fragile s'est déjà rompu, provoquant une guerre civile sanglante, de nouveaux comptages de la population risqueraient de mettre au jour la dichotomie entre la représentation confessionnelle et la situation démographique réelle du pays. Cela risquerait de provoquer le mécontentement de certains groupes, qui se sentiraient mal représentés, et les tensions seraient susceptibles de ressurgir.

Dans leur Atlas du Liban (2007), Eric Verdeil et ses collaborateurs recensent les différents comptages de la population depuis le mandat français. Trois comptages ont été réalisés sous le mandat français, dont le seul recensement de l'histoire du Liban, en 1932 (excluant les Libanais émigrés). Après cette date, plus aucun recensement n'a été réalisé. Les chiffres reposent sur des extrapolations ou des sondages. Sous la présidence de Fouad Chéhab, des enquêtes sont réalisées, comme celle de 1970, qui estime la population à partir de la population résidente. Après la guerre, deux enquêtes réalisées à un an d'intervalle (1996 et 1997) donnent des résultats très différents (écart de près de 25% pour la mesure de population totale : 3 millions d'habitants pour la première, et 4 millions pour la deuxième). Les études réalisées par des universités dans les années 2000 divergent également.

Les divergences dans ces évaluations s'expliquent de plusieurs manières. D'abord, les résidences principales n'ont pas bien été recensées, ce qui affecte la mesure de la population totale. Ensuite, le poids de l'émigration est difficile à cerner. Enfin, le poids de l'immigration constitue une incertitude de taille, tout comme celui de l'immigration.

• Un moyen alternatif mais avec des limites : les listes électorales

Si le recensement n'existe pas au Liban, des données partielles renseignent sur l'évolution de la structure confessionnelle du pays. Parmi celles-ci, les données électorales sont les plus pertinentes.

Il faut cependant garder à l'esprit les limites de ces données. Celles-ci ne recensent que les Libanais inscrits sur les listes électorales.
- Par conséquent, les moins de 21 ans (n'ayant pas le droit de vote), ne sont pas comptés. Cela constitue un biais non négligeable, notamment pour les populations musulmanes, qui ont a priori une structure par âge plus jeune que les populations chrétiennes. Par ailleurs, les immigrés qui ne possèdent pas la nationalité libanaise ne sont pas inscrits sur les listes, et donc ne sont pas comptés dans les estimations. Cela concerne surtout les Palestiniens qui sont arrivés par vagues en 1949 (Première guerre israélo-arabe), 1967 (Guerre des Six-Jours) et 1970 (Septembre noir en Jordanie), les Syriens, mais aussi les nouvelles migrations économiques, comme celles des Philippines, employées comme personnel domestique dans les grandes villes.
- A l'inverse, des Libanais peuvent encore être inscrits sur les listes et avoir émigré. Cela engendre un biais, notamment pour les populations chrétiennes et arméniennes, qui ont le plus quitté le Liban. Si elles ne se sont pas désinscrites des listes, elles sont encore comptées dans les évaluations.

III – Géographie confessionnelle du Liban

Malgré les imperfections de la base de données électorale, on peut tenter de localiser les minorités. On remarque que celles-ci occupent des territoires assez différenciés dans l'espace, lié à l'héritage historique développé précédemment. Toutefois, elles s'enchevêtrent : un territoire n'est jamais homogène du point de vue de la confession ; il y a toujours une confession majoritaire et une/des confession(s) minoritaire(s). Nous nous basons ici sur la base de données électorale de l'année 2000, qui est traitée par E. Verdeil dans l'Atlas du Liban.

• Une répartition différenciée non homogène

Les sunnites sont très présents dans les grandes villes. Ils sont nettement majoritaires à Saïda et Tripoli, et forment le premier groupe confessionnel à Beyrouth. En milieu rural, ils sont principalement regroupés dans l'Akkar, à l'extrême nord et dans le Sud de la Bekaa (plaine comprise entre Mont-Liban et l'Anti-Liban). Les chiites sont très concentrés dans le Sud du pays (Jabat Amil) et dans le Nord de la Bekaa, autour de Baalbek. Ils sont traditionnellement absents des villes, sauf à Beyrouth et sa banlieue, où la communauté est importante. Le peuplement druze se concentre au Sud du Mont-Liban, dans le Chouf et la région d'Aley, comme à ses origines. Les Druzes sont aussi présents sur les piémonts du mont Hermon, dans la partie Sud de l'Anti-Liban. Les Alaouites sont peu nombreux au Liban. Ils sont présents dans le Nord du pays, dans la continuité de leur principal foyer, le Jabal Ansariyeh (côte nord-ouest de la Syrie).

Les communautés chrétiennes sont aussi fortement concentrées. Les maronites sont fortement implantés sur le versant occidental du Mont-Liban. Ils sont majoritaires sur l'espace allant du nord de Beyrouth à Zhgorta, tandis qu'ils se mélangent avec les druzes dans la périphérie Est et Sud de Beyrouth, avec les grecs-orthodoxes dans la région de Zhgorta et de Baabda, et avec les chiites aux alentours de Jezzine. Les Eglises grecques sont le plus souvent minoritaires sur leur territoire. Les Grecs orthodoxes forment traditionnellement de fortes communautés dans les grandes villes littorales (Tripoli, Beyrouth). Sinon, ils sont présents dans le Mont-Liban central, à côté des Druzes et Maronites, au Sud Est du pays et dans l'extrême nord (Akkar). Les Grecs catholiques melkites sont présents dans les villes de Zahleh, Saïda et Tyr, et dans une moindre mesure à Beyrouth. En milieu rural, ils sont éparpillés dans le Sud du Mont-Liban, autour de Jezzine, et dans le Nord de la Bekaa. Enfin, les communautés arméniennes (arrivées majoritairement d'Anatolie après la Première Guerre mondiale, où elles ont fui les massacres perpétrés par les Turcs), sont concentrées à Beyrouth et dans la Bekaa centrale.

• Mobilité des populations : émigration, exil, retour

Il ne faudrait pas voir les communautés implantées dans leur territoire local de façon immuable. Celles-ci sont mobiles. Outre l'émigration des populations, la guerre civile a provoqué des déplacements forcés de populations à l'intérieur du territoire. A Beyrouth, de forts mouvements de population ont été enregistrés : la population musulmane a migré vers Beyrouth-Ouest, tandis que la population chrétienne s'est installée dans les quartiers Est et Nord. Il en résulte une forte homogénéisation confessionnelle de la ville, alors séparée par une ligne de démarcation. Le clivage a suivi la guerre : en 1994, seuls 10% des déplacements effectués dans la ville franchissaient l'ancienne ligne de démarcation. Cela met en évidence les barrières qui sont restées dans les mentalités. La guerre a aussi touché le Chouf (Sud du Mont-Liban) lors de la guerre de la Montagne (1982-84), opposant les Druzes aux Phalanges chrétiennes. Dans le Sud Liban, l'avancée de l'armée israélienne a entrainé la venue d'un fort contingent de chiites vers les banlieues de Beyrouth. Le reste du Liban est aussi marqué par les mouvements de population, même s'ils sont moindres : à Tripoli, de nombreux chrétiens se replient vers Zghorta ; dans la Bekaa, le clivage entre Zahleh et sa banlieue se durcit ; près de Baalbek, les villages chrétiens perdent aussi de leur population.

Après la guerre, le gouvernement a mis en place une « politique des déplacés », pour permettre à ceux qui avaient connu l'exode forcé pendant la guerre de retourner dans leur lieux de vie initiaux. Ses résultats n'ont pas été mesurés, faute de données sur la population. Cependant, une enquête d'une ONG, l'Institut libanais pour le développement économique et social (ILDES), semblerait montrer que la réalité du retour est faible, et ne concerne qu'environ 20% des populations déplacées pendant la guerre. Cette politique a été entachée de pratiques clientélistes, arbitraires dans la distribution des fonds, et d'un manque de transparence.

• L'évolution relative des différentes confessions

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Graphique emprunté à l'Atlas du Liban, Eric Verdeil dir. (2007), p. 81.

Sur le graphique, on voit l'estimation de l'évolution du rapport confessionnel. Avec toutes les réserves que l'on peut émettre sur les chiffres, la part de la population chrétienne aurait baissé de 60% en 1932 à 35 % en 2006, tandis que la part de la population musulmane aurait augmenté de 40% à 65%.

Bibliographie

- Georges CORM, Géopolitique du conflit libanais, Paris, La Découverte, 1986.

- Franck DEBIÉ et Danuta PIETER, La paix et la crise : le Liban reconstruit ?, Paris, PUF, 2003.

- Eric VERDEIL, Ghaleb FAOUR et Sébastien VELUT, Atlas du Liban, Institut français du Proche-Orient, CNRS Liban, 2007.

- « Le Liban », par Yara Khoury et Anne-Lucie Chaigne-Oudin,
http://www.lesclesdumoyenorient.com/Liban.html#empireottoman

Plus de détails sur les confessions :

- Les chrétiens d'Orient : http://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-Chretiens-d-Orient-la.html puis http://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-Chretiens-d-Orient-du-VIIeme.html

- Les Maronites : http://www.lesclesdumoyenorient.com/Maronites.html

- Les Druzes : http://www.lesclesdumoyenorient.com/Druzes.html

- Les Alaouites : http://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-Alaouites-et-la-crise.html

- Les Sunnites et les Chiites : http://www.lesclesdumoyenorient.com/Sunnites-et-chiites-dans-l-Orient.html, http://www.lesclesdumoyenorient.com/Sunnites-et-chiites-a-l-epoque.html, http://www.lesclesdumoyenorient.com/Sunnites-et-chiites-a-l-epoque,1117.html



Envoyé de mon Ipad 

jeudi 3 octobre 2013

La Syrie que nous sommes en train de perdre

Merci ã Samir 
Objet: La Syrie que nous sommes en train de perdre

25. September  2013- 


http://www.lecourrierderussie.com/2013/09/25/syrie-sommes-en-train-perdre/
«Tout homme civilisé a deux patries : la sienne et la Syrie », tentait de faire entendre l'archéologue français et ancien directeur du musée du Louvre André Parrot. On peut comprendre le pathos de cet homme de science : la Syrie appartient à une région dont le nom est familier à tous les historiens en herbe – le « Croissant fertile ». C'est ici, sur un petit bout de l'Asie mineure et en Égypte, qu'est née la civilisation, ici que sont apparus, pour la première fois, l'élevage et l'agriculture.

La Syrie est un espace où le lien des temps semble ne s'être jamais rompu. Culture sumérienne, influence assyro-babylonienne, domination araméenne, période hellène, chrétienté précoce, empire byzantin et suprématie de l'islam ont transformé la terre syrienne en un gâteau mille-feuilles.

Les monuments historiques sont disséminés en Syrie comme le sont ailleurs les pierres. Il faudrait plus d'un journal pour tout dire – et plus d'une vie pour tout voir. Nous n'avons choisi que quelques sites dont la perte signifierait, pour le monde, la disparition d'un héritage unique.

L'Œil de l'Orient

Damas, comme la majorité des sites historiques de Syrie, ne va pas sans superlatif, c'est la ville à l'histoire la plus longue (le scientifique parlera du plus ancien peuplement sans interruption au monde), la plus ancienne capitale… La première mention de Damas date du troisième millénaire avant notre ère. Un historien de Judée, au Ier siècle de notre ère, écrivait que Damas avait été fondée par Hus, arrière-petit-fils de Noé. Les manuscrits arabes ont aussi leurs théories. Selon l'un d'eux, l'âge de la ville doit être calculé à partir d'Adam et Eve : après avoir été chassés de l'Eden, c'est précisément à Damas qu'ils se seraient installés. Un autre savant arabe considérait que la muraille de Damas était la première construction après le Déluge universel. L'empereur romain Julien appelait Damas l' « Œil de l'Orient ». Cet œil en a aperçu beaucoup, et sa vue n'a pas faibli avec le temps.

La corbeille à l'apôtre

La capitale syrienne a conservé l'empreinte de pratiquement toutes les époques. Ici se dressent, comme autrefois, les murs romains qui entourent la Vieille ville. Par endroits, ils abritent des maisons. Se sont également conservées les anciennes portes de la ville. Dans l'une d'elles, Bab Kissan, se trouve la chapelle de Saint Paul, de ce célèbre citoyen romain qui, portant encore le nom de Saul, persécutait brutalement les adeptes de la religion nouvelle mais qui devint, par la suite, fervent prédicateur de la chrétienté et l'un des deux apôtres suprêmes. C'est par ces portes que Paul a fui, après avoir provoqué le courroux de la communauté juive de Damas par ses sermons. Pour le capturer, on avait fait fermer toutes les issues de la ville. Mais il est parvenu à se cacher – ses disciples l'ont fait passer, assis dans une corbeille, par une meurtrière.

Au nom de l'apôtre est liée également la Rue droite, construite sous les Romains. Il en est fait mention dans la Bible : c'est là que le Tout Puissant envoie saint Ananie guérir Paul de l'aveuglement : « Et le Seigneur lui dit : Lève-toi et va dans la rue que l'on appelle droite, et demande, dans une maison juive, un Tarse du nom de Saul. » Ananie est considéré comme le premier évêque de Damas, c'est aussi lui qui a baptisé Paul. C'est incroyable, mais la maison où vivait Ananie s'est conservée jusqu'à nos jours.

Le principal site de visite de Damas est la célèbre mosquée des Omeyyades, une des plus grandes et des plus anciennes du monde. À l'époque araméenne se tenait à sa place le temple de Hadad, dieu sémite du Tonnerre. À la période romaine, le temple a été reconstruit et dédié à Jupiter. Sous l'empereur Constantin, le lieu saint, devenu chrétien, portait le nom de Saint Jean. Après que Damas a été déclarée capitale du califat omeyyade, le calife a ordonné que le temple soit démantelé pierre par pierre, et reconstruit en mosquée.

Depuis lors et jusqu'à nos jours, la mosquée des Omeyyades est le principal lieu de pèlerinage de Damas. On y trouve encore, dans une basilique spécialement construite pour l'abriter, un reliquaire avec la tête de Jean le Baptiste. Le saint reçoit les prières des chrétiens autant que des musulmans – en islam, il est vénéré sous le nom de Yahia.
Une autre curiosité de la mosquée est son minaret sud-oriental. Selon la légende, c'est ici que descendra Jésus au jour du Jugement dernier. Face au minaret, on a préparé un petit tapis pour le messie. Il est étendu chaque matin par l'imam en chef – car en effet, personne ne sait quand sonnera le Jour terrible…

Au dessus de la capitale s'élève le mont Quassioun. Sur son versant oriental s'accroche une petite mosquée, près d'elle, se trouve le site que l'on appelle la Grotte sanglante. La tradition veut que ce soit là qu'a été commis le premier assassinat de l'histoire de l'humanité – que Caïn a levé la main sur Abel. La grotte dissimule des niches : selon la légende, le Christ a prié dans l'une d'elles, Abraham dans une autre, Saint Georges dans une troisième.

La falaise ressemble ici à une gueule béante : au moment de l'assassinat, la roche a hurlé de frayeur, et est restée figée. Depuis le plafond, des gouttes continuent de perler – ce sont les larmes pour Abel. On dit qu'elles guérissent les maladies des yeux.
Il y a aussi, ici, la trace d'une paume – c'est l'archange Gabriel qui, descendu du ciel après l'événement et faiblissant de chagrin, s'est appuyé sur le mur. Puis, l'archange a livré le corps d'Abel à la terre, non loin de Damas, dans la petite localité de An Nabi Habil. On y trouve un sarcophage de marbre de cinq mètres de long : les premiers hommes étaient bien plus grands que ceux d'aujourd'hui. Et Abel ne faisait pas exception.

Un des lieux les plus vénérés de la Syrie chrétienne est l'icône de la Vierge Marie du monastère de Saydnaya. En nombre de pèlerins, la relique, dans le Proche Orient, ne le cède qu'à Jérusalem.
Le monastère a été érigé sur décret de l'empereur Justinien. La légende dit que le césar, à la chasse, aperçut une gazelle. S'apprêtant à la tuer, il fut presque aveuglé par une vive lumière – la gazelle s'était transformée en une vierge vêtue de blanc, qui ordonna à l'empereur de construire un monastère. C'était la Vierge Marie…

Le lieu saint est vénéré aussi bien par les chrétiens que par les musulmans – l'Impératrice des cieux fait bien assez de miracles pour tous. Le dernier a eu lieu il y a vingt ans – la mère d'un petit garçon musulman tout juste guéri d'une maladie grave a apporté à la Vierge de Saydnaya de l'huile d'olive, qu'elle a, par mégarde, renversée sur une marche. Sur les gouttes d'huile s'est soudain dessinée l'image de la Vierge. Depuis ce jour, les gens de toutes les confessions viennent toucher l'icône et demander son intercession.

La petite ville de Maaloula est célèbre pour ses monuments chrétiens. Parmi eux, le monastère féminin de sainte Thècle, où affluent les pèlerins de tout le Proche Orient, pour placer entre ses pierres des notes avec des prières. Selon la légende, Thècle fuyait les soldats envoyés par son père – lui, respectable païen, était très irrité que sa fille ait adopté la chrétienté. Après de grands tourments, Thècle arriva aux monts de Maaloula, mais là, elle perdit toute force. Alors, Thècle se mit à prier. Et le miracle survint – la montagne s'écarta, formant un étroit passage. Thècle s'installa dans une grotte près d'une source, avec l'eau de laquelle elle baptisait et guérissait les gens.

Cette source s'est conservée jusqu'à nos jours. Et Thècle continue de guérir les gens de maux divers. En signe de reconnaissance pour ses soins, on lui apporte – comme à la Vierge de Saydnaya – des présents : des médaillons en forme de parties du corps. La sainte repose dans une minuscule cellule de la grotte même où elle a vécu et prié.

Maaloula est un des rares lieux de Syrie dont les habitants parlent en langue araméenne dans sa version contemporaine. L'araméen fut un temps, comme on le dirait aujourd'hui, la langue de communication interethnique dans le Proche Orient. Jésus le parlait, et ses apôtres aussi. Ainsi semble-t-il, à ceux qui viennent ici, voyager dans le temps quelques millénaires en arrière.

À l'heure qu'il est, les monastères ont été saccagés, et leurs habitants ont fui les assauts des rebelles…

Source : Tamara Tsereteli, Gazeta Kultura