jeudi 3 octobre 2013

La Syrie que nous sommes en train de perdre

Merci ã Samir 
Objet: La Syrie que nous sommes en train de perdre

25. September  2013- 


http://www.lecourrierderussie.com/2013/09/25/syrie-sommes-en-train-perdre/
«Tout homme civilisé a deux patries : la sienne et la Syrie », tentait de faire entendre l'archéologue français et ancien directeur du musée du Louvre André Parrot. On peut comprendre le pathos de cet homme de science : la Syrie appartient à une région dont le nom est familier à tous les historiens en herbe – le « Croissant fertile ». C'est ici, sur un petit bout de l'Asie mineure et en Égypte, qu'est née la civilisation, ici que sont apparus, pour la première fois, l'élevage et l'agriculture.

La Syrie est un espace où le lien des temps semble ne s'être jamais rompu. Culture sumérienne, influence assyro-babylonienne, domination araméenne, période hellène, chrétienté précoce, empire byzantin et suprématie de l'islam ont transformé la terre syrienne en un gâteau mille-feuilles.

Les monuments historiques sont disséminés en Syrie comme le sont ailleurs les pierres. Il faudrait plus d'un journal pour tout dire – et plus d'une vie pour tout voir. Nous n'avons choisi que quelques sites dont la perte signifierait, pour le monde, la disparition d'un héritage unique.

L'Œil de l'Orient

Damas, comme la majorité des sites historiques de Syrie, ne va pas sans superlatif, c'est la ville à l'histoire la plus longue (le scientifique parlera du plus ancien peuplement sans interruption au monde), la plus ancienne capitale… La première mention de Damas date du troisième millénaire avant notre ère. Un historien de Judée, au Ier siècle de notre ère, écrivait que Damas avait été fondée par Hus, arrière-petit-fils de Noé. Les manuscrits arabes ont aussi leurs théories. Selon l'un d'eux, l'âge de la ville doit être calculé à partir d'Adam et Eve : après avoir été chassés de l'Eden, c'est précisément à Damas qu'ils se seraient installés. Un autre savant arabe considérait que la muraille de Damas était la première construction après le Déluge universel. L'empereur romain Julien appelait Damas l' « Œil de l'Orient ». Cet œil en a aperçu beaucoup, et sa vue n'a pas faibli avec le temps.

La corbeille à l'apôtre

La capitale syrienne a conservé l'empreinte de pratiquement toutes les époques. Ici se dressent, comme autrefois, les murs romains qui entourent la Vieille ville. Par endroits, ils abritent des maisons. Se sont également conservées les anciennes portes de la ville. Dans l'une d'elles, Bab Kissan, se trouve la chapelle de Saint Paul, de ce célèbre citoyen romain qui, portant encore le nom de Saul, persécutait brutalement les adeptes de la religion nouvelle mais qui devint, par la suite, fervent prédicateur de la chrétienté et l'un des deux apôtres suprêmes. C'est par ces portes que Paul a fui, après avoir provoqué le courroux de la communauté juive de Damas par ses sermons. Pour le capturer, on avait fait fermer toutes les issues de la ville. Mais il est parvenu à se cacher – ses disciples l'ont fait passer, assis dans une corbeille, par une meurtrière.

Au nom de l'apôtre est liée également la Rue droite, construite sous les Romains. Il en est fait mention dans la Bible : c'est là que le Tout Puissant envoie saint Ananie guérir Paul de l'aveuglement : « Et le Seigneur lui dit : Lève-toi et va dans la rue que l'on appelle droite, et demande, dans une maison juive, un Tarse du nom de Saul. » Ananie est considéré comme le premier évêque de Damas, c'est aussi lui qui a baptisé Paul. C'est incroyable, mais la maison où vivait Ananie s'est conservée jusqu'à nos jours.

Le principal site de visite de Damas est la célèbre mosquée des Omeyyades, une des plus grandes et des plus anciennes du monde. À l'époque araméenne se tenait à sa place le temple de Hadad, dieu sémite du Tonnerre. À la période romaine, le temple a été reconstruit et dédié à Jupiter. Sous l'empereur Constantin, le lieu saint, devenu chrétien, portait le nom de Saint Jean. Après que Damas a été déclarée capitale du califat omeyyade, le calife a ordonné que le temple soit démantelé pierre par pierre, et reconstruit en mosquée.

Depuis lors et jusqu'à nos jours, la mosquée des Omeyyades est le principal lieu de pèlerinage de Damas. On y trouve encore, dans une basilique spécialement construite pour l'abriter, un reliquaire avec la tête de Jean le Baptiste. Le saint reçoit les prières des chrétiens autant que des musulmans – en islam, il est vénéré sous le nom de Yahia.
Une autre curiosité de la mosquée est son minaret sud-oriental. Selon la légende, c'est ici que descendra Jésus au jour du Jugement dernier. Face au minaret, on a préparé un petit tapis pour le messie. Il est étendu chaque matin par l'imam en chef – car en effet, personne ne sait quand sonnera le Jour terrible…

Au dessus de la capitale s'élève le mont Quassioun. Sur son versant oriental s'accroche une petite mosquée, près d'elle, se trouve le site que l'on appelle la Grotte sanglante. La tradition veut que ce soit là qu'a été commis le premier assassinat de l'histoire de l'humanité – que Caïn a levé la main sur Abel. La grotte dissimule des niches : selon la légende, le Christ a prié dans l'une d'elles, Abraham dans une autre, Saint Georges dans une troisième.

La falaise ressemble ici à une gueule béante : au moment de l'assassinat, la roche a hurlé de frayeur, et est restée figée. Depuis le plafond, des gouttes continuent de perler – ce sont les larmes pour Abel. On dit qu'elles guérissent les maladies des yeux.
Il y a aussi, ici, la trace d'une paume – c'est l'archange Gabriel qui, descendu du ciel après l'événement et faiblissant de chagrin, s'est appuyé sur le mur. Puis, l'archange a livré le corps d'Abel à la terre, non loin de Damas, dans la petite localité de An Nabi Habil. On y trouve un sarcophage de marbre de cinq mètres de long : les premiers hommes étaient bien plus grands que ceux d'aujourd'hui. Et Abel ne faisait pas exception.

Un des lieux les plus vénérés de la Syrie chrétienne est l'icône de la Vierge Marie du monastère de Saydnaya. En nombre de pèlerins, la relique, dans le Proche Orient, ne le cède qu'à Jérusalem.
Le monastère a été érigé sur décret de l'empereur Justinien. La légende dit que le césar, à la chasse, aperçut une gazelle. S'apprêtant à la tuer, il fut presque aveuglé par une vive lumière – la gazelle s'était transformée en une vierge vêtue de blanc, qui ordonna à l'empereur de construire un monastère. C'était la Vierge Marie…

Le lieu saint est vénéré aussi bien par les chrétiens que par les musulmans – l'Impératrice des cieux fait bien assez de miracles pour tous. Le dernier a eu lieu il y a vingt ans – la mère d'un petit garçon musulman tout juste guéri d'une maladie grave a apporté à la Vierge de Saydnaya de l'huile d'olive, qu'elle a, par mégarde, renversée sur une marche. Sur les gouttes d'huile s'est soudain dessinée l'image de la Vierge. Depuis ce jour, les gens de toutes les confessions viennent toucher l'icône et demander son intercession.

La petite ville de Maaloula est célèbre pour ses monuments chrétiens. Parmi eux, le monastère féminin de sainte Thècle, où affluent les pèlerins de tout le Proche Orient, pour placer entre ses pierres des notes avec des prières. Selon la légende, Thècle fuyait les soldats envoyés par son père – lui, respectable païen, était très irrité que sa fille ait adopté la chrétienté. Après de grands tourments, Thècle arriva aux monts de Maaloula, mais là, elle perdit toute force. Alors, Thècle se mit à prier. Et le miracle survint – la montagne s'écarta, formant un étroit passage. Thècle s'installa dans une grotte près d'une source, avec l'eau de laquelle elle baptisait et guérissait les gens.

Cette source s'est conservée jusqu'à nos jours. Et Thècle continue de guérir les gens de maux divers. En signe de reconnaissance pour ses soins, on lui apporte – comme à la Vierge de Saydnaya – des présents : des médaillons en forme de parties du corps. La sainte repose dans une minuscule cellule de la grotte même où elle a vécu et prié.

Maaloula est un des rares lieux de Syrie dont les habitants parlent en langue araméenne dans sa version contemporaine. L'araméen fut un temps, comme on le dirait aujourd'hui, la langue de communication interethnique dans le Proche Orient. Jésus le parlait, et ses apôtres aussi. Ainsi semble-t-il, à ceux qui viennent ici, voyager dans le temps quelques millénaires en arrière.

À l'heure qu'il est, les monastères ont été saccagés, et leurs habitants ont fui les assauts des rebelles…

Source : Tamara Tsereteli, Gazeta Kultura


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