27/9/2013-Charif Majdalani raconte les chrétiens du Liban
Cela commence comme un roman de cape et d'épée. Dans la fougue amoureuse de ses vingt ans, Hamid enlève la jolie Simone, la fille du notable chrétien Chakib Khattar, industriel du marbre, dont il était devenu le bras droit. On est en 1964. Les jeunes gens s'aiment, mais Hamid, issu d'une classe sociale inférieure, s'est vu refuser la main de sa belle. Ainsi s'ouvre « Le dernier Seigneur de Marsad », par un épisode rocambolesque qui marque le début de la fin pour le chef de clan chrétien, dont l'univers va basculer. Conteur hors pair, l'écrivain libanais Charif Majdalani nous plonge au cœur de l'histoire du Liban, à la veille de la guerre de 1975, qui marquera la fin d'un certain âge d'or. Rencontre.
Comment est née l'histoire du « dernier Seigneur de Marsad » ?
Marsad est inspiré du quartier de Mazra à l'ouest de Beyrouth, dont est originaire ma famille. Un quartier qui était autrefois à majorité chrétienne orthodoxe – avec une population plutôt roturière par rapport à l'aristocratie chrétienne du fief d'Achrafieh, à l'est de la capitale. Marsad a vu arriver petit à petit de nombreuses familles musulmanes sunnites. La géographie humaine a changé au point qu'à la fin des années 1950, les grands notables chrétiens ont dû s'allier aux chefs sunnites pour garder leur pouvoir. C'était une sorte de pacte contre nature, avec des leaders musulmans favorables aux nationalismes arabes, négation même de l'essence du Liban… Le maintien de l'influence chrétienne sur Mazra était à ce prix.
La guerre de 1975 a changé la donne...
Oui, le grand basculement démographique a surtout eu lieu pendant la guerre civile de 1975, quand les familles chrétiennes ont dû fuir vers l'Est, à quelques exceptions près. Au fil des ans, même les chefs traditionnels musulmans ont perdu leur influence au profit des chefs de milice, dont certains étaient encore assez respectables – comme le personnage d'Achraf Labbane dans le roman. A partir de 1983 cependant, des milices inconnues liées aux mafias ont lorgné sur les propriétés et établi leur camp… L'histoire de ce quartier est emblématique de celle du Liban, avec un changement progressif de la démographie et le rétrécissement du rôle des chrétiens.
Etes-vous nostalgique d'un certain âge d'or d'avant la guerre ?
Quand j'étais jeune, j'étais fasciné par les chefs traditionnels - dont j'ai tiré le personnage de Chakib Khattar -, ces grands seigneurs tout à la fois égoïstes et défenseurs des humbles, secondés par les « abadayes », des petits chefs de quartier un peu voyous, personnages mythiques pour les enfants que nous étions, qui maniaient le révolver dans des actions d'éclat, avaient l'art de la mise en scène et du symbole. Ils ont disparu au profit des miliciens, la kalachnikov a remplacé le pistolet… Mais le prétendu âge d'or d'avant la guerre, période de cohabitation et de prospérité économique, portait déjà en germe les conflits à venir. Cette société hyper-hiérarchisée était une société de convivialité, où l'on vivait côte à côte mais sans se mélanger - pas question de mariage entre communautés. Dans cette cohabitation accompagnée de méfiance, régnait déjà la fracture, communautaire et sociale – le mariage de déclassement étant aussi proscrit. Le jeune Hamid incarne cette impossibilité.
Quelle est la situation aujourd'hui ?
Le Liban a retrouvé aujourd'hui une forme de coexistence, même si la fracture oppose désormais sunnites et chiites. Tout le Moyen-Orient est pris dans cette division-là, vieille rivalité de cinq siècles qui a resurgi, avivée à l'heure actuelle par la situation en Syrie. Et les chrétiens d'Orient, écartelés entre leur allégeance aux uns ou aux autres, sont définitivement mis sur orbite. Mais ils sont une force satellitaire encore nécessaire, économique, intellectuelle et aussi symbolique. Ils font de ce pays quelque chose de différent, né du déséquilibre et qui n'existe que dans l'équilibre provisoire, lequel se rejoue à chaque étape de son histoire.
Envoyé de mon Ipad
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