Entre vulnérabilité et solidité du système constitutionnel libanais, un débat interminable occupe inlassablement les constitutionnalistes et les analystes politiques dans ce petit pays et ailleurs depuis bientôt soixante-douze ans. Partout dans le monde, les régimes politiques sont en effet soit laïcs, soit communautaires, et la gouvernance de l'État des institutions y est assurée par un texte unique et exclusif, celui de leurs propres Constitutions. Au Liban, la situation est différente, deux documents indissociables ont en effet déterminés, soutenus et permis de construire un régime national atypique, et ce à travers :
– la Constitution de 1943, au titre de gouvernail de la République;
– la «sigha», au titre de son âme et de gardien de son entité. Cette formule énonce le principe du « vivre-ensemble » des composantes socioculturelles de la nation et des modalités de son application.
Cette interrelation constitutionnelle a créé une interactivité fondamentale et incontournable dans le rapport État-nation-citoyen. Pour la première fois, la gestion constitutionnelle d'un État prend en compte le destin de la nation à travers l'équilibre incontournable et inconditionnel de ses composantes, plutôt que de se soucier en priorité du bien-être de son citoyen. Au Liban en effet, ce dernier doit son identité nationale à son appartenance socioculturelle plutôt qu'à une appartenance républicaine directe. Cette construction va de ce fait sceller des rapports de force indéfectibles sur la scène politique intérieure et imposer des garde-fous pour protéger un édifice national original, qui sera géré par la Constitution mais en fonction de la «sigha». Tant que l'équilibre prévu par cette dernière est respecté, la démarche aura pour conséquence de pouvoir toujours contenir les litiges entre individus et même entre partis politiques. Mais il faut noter a contrario que tout dérapage de la part de certaines de ses composantes mettra en danger irrémédiablement toutes les autres parties et pourrait entraîner l'effondrement de tous les protagonistes, des plus forts aux moins forts, allant jusqu'à provoquer la dilution de l'État dans son ensemble. Pour éviter donc d'arriver à ces conclusions extrêmes et pour résoudre les diverses crises nationales qu'ils ont traversées, les Libanais ont toujours appliqué le dicton suivant: «Ni vainqueurs ni vaincus», quand bien même il ne représentait pas toujours la réalité du terrain car ils ont considèré que cette attitude était la plus sage et qu'elle protégeait le mieux l'esprit de la «sigha». Cette philosophie existentielle nationale a permis au Liban, malgré sa très grande vulnérabilité, de se doter d'une ceinture de sécurité et de protection du «vivre-ensemble», paramètre essentiel de sa Constitution. Cette constatation établie, il faut toutefois éviter de tomber dans le piège des amalgames dangereux qui, sous le couvert de cette formule, amèneraient certains représentants de l'une de ses composantes nationales du «vivre-ensemble» à imposer ses diktats par la force aux autres composantes, entraînant ainsi une atteinte grave à la nation. Car une telle attitude porterait préjudice aux principes sacro-saints de la démocratie constamment revendiquée comme fer de lance de ce petit pays, bloquerait les rouages institutionnels de l'Êtat et entraînerait éventuellement la seule issue naturelle, mais néammoins dramatique, celle du « mourir-ensemble».
Cette formule libanaise adoptée il y a plus de soixante-dix ans a non seulement protégé l'entité libanaise et son peuple de tous les traquenards qui ont jalonné le parcours de cette jeune République, mais elle s'avère aussi aujourd'hui être un précurseur du «vivre-ensemble», non seulement en Orient, région communautairement monochrome, où les juifs d'Israël arrivés plus tardivement ont adopté eux aussi la même attitude, mais aussi en Occident, où le «vivre-ensemble » avait pour «chapeau», la laïcité et non le «communautarisme». Maintenant que ce dernier est confronté à l'invasion déstabilisante d'une démographie galopante d'immigrés dont le profil est essentiellement communautaire, les donnes de sécurité et de stabilité intérieures sont appelées à y être fondamentalement modifiées pour éviter des drames comme ceux qui ont frappé ces derniers jours, en France, l'un des phares de la liberté d'expression dans le monde.
Tout en souhaitant ardemment que soient jugulés dans les plus brefs délais ces actes de barbarie qui endeuillent le monde libre, le Liban, pays message, ne peut qu'être solidaire de tous les peuples et de tous les citoyens qui meurent victimes autant de l'obscurantisme des mouvements jihadistes et takfiristes que du refus de certaines nations de perdre leur indépendance et leur souveraineté nationale à l'avantage des intérêts stratégiques de décideurs régionaux et internationaux. Le temps est peut-être venu pour que les peuples forts, et principalement l'Occident, prennent conscience de la nécessité, après le passage à l'ère de la globalisation et à celui de l'extension des circuits de communication publics et privés, de l'obligation d'introduire plus de justice et d'équité dans la gestion des nations du globe, et plus de sagesse, de dignité et de tolérance à l'égard de leurs peuples.
Envoyé de mon Ipad
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