L’Orient Le Jour 24-2-2011
Ce que des siècles de liens théologiques, institutionnels et humains entre le Saint-Siège et l'Église maronite ont tissé a été consacré et rendu visible, hier, grâce à l'installation d'une statue de saint Maron dans une niche située sur le périmètre extérieur de la basilique Saint-Pierre de Rome, cœur de la chrétienté.
La fête de la communauté maronite réunie pour l'occasion aurait revêtu plus d'éclat si les grandes figures politiques maronites s'étaient décidées toutes à faire le déplacement. Mais non ! Ce que la politique a divisé, même saint Maron n'a pu le réunir. Certes, tous les courants politiques libanais étaient représentés dans la foule des officiels présents, le 14 et le 8 Mars étaient là, de Samy et Nadim Gemayel à Gebran Bassil et Youssef Saadé, sans oublier Tarek Mitri et Samir Frangié, mais on ne pouvait s'empêcher de regretter l'absence des grandes figures symboliques de ces courants et leur impossibilité à se hisser au-dessus des contingences politiques pour cette occasion unique en son genre.Ce fut quand même un moment joyeux. Sur le flanc nord de la basilique, battu par un vent glacial, les centaines de maronites venus vivre ce temps fort n'ont pas été frustrés de leur peine. La levée de voile sur la statue par le pape, les mots échangés, l'arrivée du patriarche, celle du président Sleiman et de son épouse puis celle de Benoît XVI, fragile comme une colombe avec ses cheveux blancs, n'ont n'a pas déçu les attentes, et la joyeuse cohue des Libanais a eu raison du protocole du Vatican. Le mystère de la statue et de son auteur, le sculpteur Marco Augusto Davignas, était levé.
De fait, l'œuvre se marie bien avec le style des statues déjà installées, plus proches des codes de la liturgie que des élans de la poésie. De plus, sa présence rassure, installée qu'elle est à quelques dizaines de mètres de la tombe de Pierre et figurant l'un des saints historiquement les plus proches des temps apostoliques.Pour une Église où le nom de Boutros est enchâssé comme un bijou entre le prénom et le nom de chacun des patriarches, cette consécration s'imposait presque naturellement. C'est maintenant chose faite.Une intrigante homélieLa cérémonie de levée de voile a été suivie d'une messe solennelle célébrée sur l'autel situé à l'arrière de la nef de la grande basilique. Présidé par le patriarche, l'office s'est tenu en présence du président de la République et de son épouse, du ministre des Affaires étrangères Ali Chami et d'une foule qui comptait de nombreux ministres et députés. Un turban se détachait de l'ensemble, celui de l'ambassadeur d'Iran auprès du Saint-Siège.L'homélie du patriarche, dépourvue d'allusions politiques, a quand même intrigué. Dans un historique de la fondation du patriarcat maronite, au VIe siècle, le patriarche a fait allusion à l'autonomie des décisions prises par ce dernier, dans la nomination des évêques, à une époque historique marquée par l'hostilité entre les Empires arabe et byzantin, et où les difficultés de déplacements et de contacts isolaient les régions les unes des autres durant deux, trois ou quatre décades. Beaucoup de fidèles ont vu dans cette évocation une allusion à l'anomalie de la situation actuelle de l'Église maronite, plongée dans l'incertitude quand à l'avenir du siège patriarcal, avec la démission que le chef de l'Église maronite a présentée au pape, l'attente de son acceptation par le Saint-Père et de la détermination d'une date précise pour la convocation d'un synode qui lui élirait un successeur. Mais ce point d'interrogation doit rester sans réponse pour le moment. Les évêques interrogés là-dessus conviennent, certes, que la situation est inédite, ils se plaignent de cette incertitude, où ils voient un signe de désorganisation, sans pour autant se risquer à aller plus loin. Pour sa part, le patriarche continue d'agir en chef, ses réparties prouvent sa clarté d'esprit et les réalisations de son long règne plaident plus que jamais pour lui.Au cours de la messe, le souvenir d'Antoine Choueiri a été évoqué avec émotion dans les intentions de prière. Sa grande famille, avec enfants et petits-enfants, a meublé les rangées réservées aux hôtes de marque, et pour cause : c'est à sa veuve, Rose Choueiri, qu'on doit l'effort financier colossal pour réaliser la statue de saint Maron, sculptée dans le plus pur marbre de Carrare. Près d'elle veillait, en première rangée, Michel Eddé, président de la Fondation maronite dans le monde, l'une des colonnes visibles d'une Église aujourd'hui répandue aux quatre coins du globe.DangersLa messe a été suivie d'un déjeuner offert par la Fondation maronite dans le monde dans un somptueux palais des fêtes de Rome, le palais Braccia.Ce fut l'occasion pour Michel Eddé, le patriarche Sfeir et le président Sleiman de prononcer trois allocutions significatives. M. Eddé a évoqué les deux grands dangers qui menacent les maronites, l'isolement qui les prive de leur message et la dilution qui menace le messager.M. Eddé a vu dans l'initiative du pape de concéder aux maronites l'une des niches de la basilique Saint-Pierre, la dernière de cette taille colossale, « une nouvelle espérance pour tous les Libanais, musulmans et chrétiens, y compris pour les maronites, qui ne peuvent oublier qu'ils sont le ferment, le levain du Liban et qui portent, en même temps, sa croix dans les moments d'épreuve » (lire ci-contre).PrimautéPour sa part, le patriarche Sfeir a évoqué les deux formes d'appartenance des maronites à leur communauté, l'une sociale et politique, « qui peut les diviser, disperser leurs forces, les affaiblir et limiter leur impact », et l'autre ecclésiale, « qui doit avoir la primauté, car c'est elle qui forme le trait d'union et le garant de notre unité et de notre destin, elle qui dissipe l'inquiétude qui nous étreint souvent ».Le patriarche Sfeir devait également souligner que « le lien qui rattache l'Église maronite au Liban est une composante importante de notre histoire et de la formation de notre Église, qu'il ne faut pas abandonner, mais au contraire qu'il faut raffermir, ce que s'efforce de faire la Fondation maronite dans le monde ».Le message du président, lui, était plus politique. « L'événement, a-t-il dit, témoigne de la continuité de l'Église maronite et de son enracinement historique. »Mais si cette Église s'est développée en dehors de tout cadre institutionnel, sa présence et son rôle sont rattachés aujourd'hui à l'existence de l'État et de l'entité du Liban, a-t-il ajouté. Et de souligner que si la fondation du Liban a été consensuelle, son développement l'a conduit à se heurter « à des changements internes et externes » auxquels les maronites n'ont pas su s'adapter, à défaut d'avoir su « faire évoluer leur système politique ».Ces obstacles et ce doute sur la capacité d'adaptation du système politique sont à la source des inquiétudes actuelles des Libanais, a-t-il ajouté en substance.Le chef de l'État a ensuite évoqué ce que pourraient être, selon lui, les quatre principes de cette évolution : le développement de la culture du dialogue et de l'acceptation de l'autre, la distance prise à l'égard du « jeu des nations » et de toute politique des axes, le rejet de tout système pouvant conduire à une dictature, y compris celle du nombre, et l'application intégrale de l'accord de Taëf, loin des « dysfonctionnements » qui ont marqué le fonctionnement des institutions depuis l'élection présidentielle de 2008 - en substance, l'accord de Doha.La quatrième conviction du chef de l'État est que « le sort des chrétiens du Liban, comme celui de toutes les autres collectivités de notre Orient, n'est pas lié à la logique de l'autoprotection ou d'une protection étrangère, ou aux capacités de ces collectivités à réunir les facteurs de force matérielle ou à se replier sur elles-mêmes et à s'isoler. Ce sort dépend de leur succès à se constituer en mouvements et régimes issus des Lumières, dans le cadre d'États justes et rassembleurs, garants des libertés publiques, forts contre le terrorisme et la corruption, soucieux du bien public sur base de la citoyenneté ».
Benoît XVI a béni hier le lever du voile sur la statue de saint Maron, installée dans une niche dans le périmètre extérieur de la basilique Saint-Pierre, au cœur de la chrétienté. Ce que des siècles de liens en tout genre entre le Saint-Siège et l'Église maronite ont tissé a été consacré hier.
Le sort des maronites entre continuité historique et adaptation au changementEddé : Les maronites ont conçu l’État moderne libanais comme un foyer de convivialité islamo-chrétienne
Ce que des siècles de liens théologiques, institutionnels et humains entre le Saint-Siège et l'Église maronite ont tissé a été consacré et rendu visible, hier, grâce à l'installation d'une statue de saint Maron dans une niche située sur le périmètre extérieur de la basilique Saint-Pierre de Rome, cœur de la chrétienté.
La fête de la communauté maronite réunie pour l'occasion aurait revêtu plus d'éclat si les grandes figures politiques maronites s'étaient décidées toutes à faire le déplacement. Mais non ! Ce que la politique a divisé, même saint Maron n'a pu le réunir. Certes, tous les courants politiques libanais étaient représentés dans la foule des officiels présents, le 14 et le 8 Mars étaient là, de Samy et Nadim Gemayel à Gebran Bassil et Youssef Saadé, sans oublier Tarek Mitri et Samir Frangié, mais on ne pouvait s'empêcher de regretter l'absence des grandes figures symboliques de ces courants et leur impossibilité à se hisser au-dessus des contingences politiques pour cette occasion unique en son genre.Ce fut quand même un moment joyeux. Sur le flanc nord de la basilique, battu par un vent glacial, les centaines de maronites venus vivre ce temps fort n'ont pas été frustrés de leur peine. La levée de voile sur la statue par le pape, les mots échangés, l'arrivée du patriarche, celle du président Sleiman et de son épouse puis celle de Benoît XVI, fragile comme une colombe avec ses cheveux blancs, n'ont n'a pas déçu les attentes, et la joyeuse cohue des Libanais a eu raison du protocole du Vatican. Le mystère de la statue et de son auteur, le sculpteur Marco Augusto Davignas, était levé.
De fait, l'œuvre se marie bien avec le style des statues déjà installées, plus proches des codes de la liturgie que des élans de la poésie. De plus, sa présence rassure, installée qu'elle est à quelques dizaines de mètres de la tombe de Pierre et figurant l'un des saints historiquement les plus proches des temps apostoliques.Pour une Église où le nom de Boutros est enchâssé comme un bijou entre le prénom et le nom de chacun des patriarches, cette consécration s'imposait presque naturellement. C'est maintenant chose faite.Une intrigante homélieLa cérémonie de levée de voile a été suivie d'une messe solennelle célébrée sur l'autel situé à l'arrière de la nef de la grande basilique. Présidé par le patriarche, l'office s'est tenu en présence du président de la République et de son épouse, du ministre des Affaires étrangères Ali Chami et d'une foule qui comptait de nombreux ministres et députés. Un turban se détachait de l'ensemble, celui de l'ambassadeur d'Iran auprès du Saint-Siège.L'homélie du patriarche, dépourvue d'allusions politiques, a quand même intrigué. Dans un historique de la fondation du patriarcat maronite, au VIe siècle, le patriarche a fait allusion à l'autonomie des décisions prises par ce dernier, dans la nomination des évêques, à une époque historique marquée par l'hostilité entre les Empires arabe et byzantin, et où les difficultés de déplacements et de contacts isolaient les régions les unes des autres durant deux, trois ou quatre décades. Beaucoup de fidèles ont vu dans cette évocation une allusion à l'anomalie de la situation actuelle de l'Église maronite, plongée dans l'incertitude quand à l'avenir du siège patriarcal, avec la démission que le chef de l'Église maronite a présentée au pape, l'attente de son acceptation par le Saint-Père et de la détermination d'une date précise pour la convocation d'un synode qui lui élirait un successeur. Mais ce point d'interrogation doit rester sans réponse pour le moment. Les évêques interrogés là-dessus conviennent, certes, que la situation est inédite, ils se plaignent de cette incertitude, où ils voient un signe de désorganisation, sans pour autant se risquer à aller plus loin. Pour sa part, le patriarche continue d'agir en chef, ses réparties prouvent sa clarté d'esprit et les réalisations de son long règne plaident plus que jamais pour lui.Au cours de la messe, le souvenir d'Antoine Choueiri a été évoqué avec émotion dans les intentions de prière. Sa grande famille, avec enfants et petits-enfants, a meublé les rangées réservées aux hôtes de marque, et pour cause : c'est à sa veuve, Rose Choueiri, qu'on doit l'effort financier colossal pour réaliser la statue de saint Maron, sculptée dans le plus pur marbre de Carrare. Près d'elle veillait, en première rangée, Michel Eddé, président de la Fondation maronite dans le monde, l'une des colonnes visibles d'une Église aujourd'hui répandue aux quatre coins du globe.DangersLa messe a été suivie d'un déjeuner offert par la Fondation maronite dans le monde dans un somptueux palais des fêtes de Rome, le palais Braccia.Ce fut l'occasion pour Michel Eddé, le patriarche Sfeir et le président Sleiman de prononcer trois allocutions significatives. M. Eddé a évoqué les deux grands dangers qui menacent les maronites, l'isolement qui les prive de leur message et la dilution qui menace le messager.M. Eddé a vu dans l'initiative du pape de concéder aux maronites l'une des niches de la basilique Saint-Pierre, la dernière de cette taille colossale, « une nouvelle espérance pour tous les Libanais, musulmans et chrétiens, y compris pour les maronites, qui ne peuvent oublier qu'ils sont le ferment, le levain du Liban et qui portent, en même temps, sa croix dans les moments d'épreuve » (lire ci-contre).PrimautéPour sa part, le patriarche Sfeir a évoqué les deux formes d'appartenance des maronites à leur communauté, l'une sociale et politique, « qui peut les diviser, disperser leurs forces, les affaiblir et limiter leur impact », et l'autre ecclésiale, « qui doit avoir la primauté, car c'est elle qui forme le trait d'union et le garant de notre unité et de notre destin, elle qui dissipe l'inquiétude qui nous étreint souvent ».Le patriarche Sfeir devait également souligner que « le lien qui rattache l'Église maronite au Liban est une composante importante de notre histoire et de la formation de notre Église, qu'il ne faut pas abandonner, mais au contraire qu'il faut raffermir, ce que s'efforce de faire la Fondation maronite dans le monde ».Le message du président, lui, était plus politique. « L'événement, a-t-il dit, témoigne de la continuité de l'Église maronite et de son enracinement historique. »Mais si cette Église s'est développée en dehors de tout cadre institutionnel, sa présence et son rôle sont rattachés aujourd'hui à l'existence de l'État et de l'entité du Liban, a-t-il ajouté. Et de souligner que si la fondation du Liban a été consensuelle, son développement l'a conduit à se heurter « à des changements internes et externes » auxquels les maronites n'ont pas su s'adapter, à défaut d'avoir su « faire évoluer leur système politique ».Ces obstacles et ce doute sur la capacité d'adaptation du système politique sont à la source des inquiétudes actuelles des Libanais, a-t-il ajouté en substance.Le chef de l'État a ensuite évoqué ce que pourraient être, selon lui, les quatre principes de cette évolution : le développement de la culture du dialogue et de l'acceptation de l'autre, la distance prise à l'égard du « jeu des nations » et de toute politique des axes, le rejet de tout système pouvant conduire à une dictature, y compris celle du nombre, et l'application intégrale de l'accord de Taëf, loin des « dysfonctionnements » qui ont marqué le fonctionnement des institutions depuis l'élection présidentielle de 2008 - en substance, l'accord de Doha.La quatrième conviction du chef de l'État est que « le sort des chrétiens du Liban, comme celui de toutes les autres collectivités de notre Orient, n'est pas lié à la logique de l'autoprotection ou d'une protection étrangère, ou aux capacités de ces collectivités à réunir les facteurs de force matérielle ou à se replier sur elles-mêmes et à s'isoler. Ce sort dépend de leur succès à se constituer en mouvements et régimes issus des Lumières, dans le cadre d'États justes et rassembleurs, garants des libertés publiques, forts contre le terrorisme et la corruption, soucieux du bien public sur base de la citoyenneté ».
Benoît XVI a béni hier le lever du voile sur la statue de saint Maron, installée dans une niche dans le périmètre extérieur de la basilique Saint-Pierre, au cœur de la chrétienté. Ce que des siècles de liens en tout genre entre le Saint-Siège et l'Église maronite ont tissé a été consacré hier.
Le sort des maronites entre continuité historique et adaptation au changementEddé : Les maronites ont conçu l’État moderne libanais comme un foyer de convivialité islamo-chrétienne
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