Mauvais présages pour le patrimoine libanais
De mauvais présages nous font craindre le pire.
Le premier mauvais présage est le retour de Hans Curvers ; cet archéologue (?) hollandais n'est autre que le théoricien de « l'archéologie par le vide » ou encore «l'archéologie du bulldozer» (voir : Archeologia, ou notre livre : Beyrouth, l'histoire qu'on assassine). Quant on fait revenir, avec l'approbation de la DGA, celui qui a été embauché par Solidere pour fouiller plus de cent cinquante sites au centre-ville et les juger inutiles ou sans intérêt, il y a lieu de se poser des questions.
Le deuxième présage se reflète dans la série d'articles qui apparaissent périodiquement comme annonciateurs d'une catastrophe imminente. Nous pensons tout particulièrement aux articles publiés dans L'Orient-Le Jour le 18 et le 23 septembre 2012 (Les vestiges archéologiques du centre-ville de Beyrouth) par celui qui fut, des années durant, le parrain de Hans Curvers. L'ancien «chef du département d'archéologie à Solidere» nous soumet comme une évidence «le credo des instances culturelles internationales, à savoir: l'architecture est le seul art qui détermine l'évolution d'un peuple ou d'une nation et que l'on ne peut arrêter cette évolution, surtout dans l'essor des grandes villes».
Qui sont ces «instances internationales»? Qui est le «père» de ce «credo»? Quelles sont les références de l'auteur? À quoi servent donc tous ces musées dans le monde entier?
Il ne s'agit en réalité que d'affirmations gratuites ou d'une pseudothéorie qui ne trahissent d'ailleurs pas la ligne suivie par Solidere depuis le début des fouilles archéologiques à Beyrouth. Mais pour compléter le tableau, l'auteur de ces articles tente de nous faire accepter sa deuxième pseudothéorie, à savoir : il n'est pas nécessaire de préserver des sites archéologiques dans le tissu urbain, car ils se transforment en trous d'ordures. Autrement dit, il nous conseille de nous débarrasser de tous les témoins de ce que son «credo» considère comme «le seul art qui détermine l'évolution d'un peuple...». Les temples de Jupiter, de Bacchus et de Vénus «déchirent» le tissu urbain de Baalbeck, le Tell phénicien «défigure» la façade de Solidere, le Quartier phénicien «se transforme en décharge publique» et les sites de Tyr divisent la ville en deux grands quartiers. Débarrassons-nous donc de ces monuments «indésirables». Le ministre de la Culture s'est déjà débarrassé de l'installation portuaire phénicienne de Mina el–Hosn, a réalisé «l'exploit» de céder l'hippodrome à un particulier et ses bulldozers sont prêts pour arracher la basilique du Ve siècle qu'on vient de découvrir avec sa mosaïque rare de par sa beauté et son excellent état de conservation.
Le troisième mauvais présage c'est l'accélération du harcèlement pratiqué par le ministre envers les employés de la DGA et les personnes qui défendent le patrimoine. On supprime le tiers du salaire d'une employée qui refuse de violer la loi, on menace une autre de mutation, un troisième de rupture de contrat. Surréalisme?
Tout cela relève d'une phobie caractérielle envers le patrimoine et envers ceux qui tentent de sauvegarder ce qu'il en reste. Tout cela fait que notre archéologie passe par une phase désastreuse. Toutes les lignes rouges sont franchies et plus rien n'arrête le ministère et ses «académiciens». J'en appelle à tous les hauts responsables de l'État. Il est très urgent de créer une commission d'enquête parlementaire. Aucun responsable, aucun citoyen n'a le droit de voir périr notre identité et de regarder ailleurs. Mais tout Libanais a le droit de savoir pourquoi tout cet acharnement contre notre patrimoine et pourquoi on ne fait rien pour stopper le massacre.
Dr Naji KARAM
Professeur d'archéologie phénicienne
Ancien chef du département d'art et d'archéologie Université libanaise
Source:L'Orient Le Jour 19/2/2013
Envoyé de mon iPad jtk
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