Une collection privée dévoile 66 stèles funéraires phéniciennes... - May MAKAREM
Publiée aux éditions Kutub, la collection Adra est présentée par deux spécialistes : Gaby Abousamra, professeur à l'UL et membre de l'équipe de recherche sur le monde ouest-sémitique ancien de l'UMR 7192 (Collège de France) ; et André Lemaire, épigraphiste et historien du Levant ancien, directeur de l'École pratique des hautes études et membre correspondant de l'Académie des inscriptions et belles lettres. Tous les deux sont presque formels. Ces stèles sont « vraisemblablement liées à des urnes cinéraires résultant de la pratique du rite de la crémation ». Et du fait de leur datation et de certaines données archéologiques, elles peuvent laisser penser qu'elles proviennent de la nécropole de Tyr al-Bass, qui a été pillée au début des années 1990 et dont les objets ont été dispersés sur le marché des antiquités.
Abousamra et Lemaire rappellent que les fouilles de sauvetage menées, entre 1997 et 2009, sur le site par Maria Eugenia Aubet ont mis au jour « au moins neuf stèles dont deux inscrites », alors que « leur nombre devait s'élever à plusieurs centaines ». En effet, dans le numéro hors série VIII de Baal (Bulletin d'archéologie et d'architecture libanaises) publié par le ministère de la Culture – Direction générale des antiquités, Aubet signale que la nécropole phénicienne a dévoilé une grande densité d'enterrements datés des IXe et VIIe siècles avant J.-C. Presque 300 urnes cinéraires ont été récupérées lors des fouilles. « C'est la plus grande nécropole de l'âge du fer II jamais découverte dans l'ancienne Phénicie. Elle était active entre 90 et 600 avant
J.-C. », indique encore Maria Eugenia Aubet. Situé près de la nécropole romaine, le cimetière phénicien a permis d'identifier des pratiques funéraires « très homogènes » : la majorité des urnes cinéraires renfermaient des objets personnels comme des bagues et des scarabées, et à côté, étaient déposées des offrandes composées d'une petite jarre à bobèche, d'un vase à bec tribolé et d'une coupe pour boire. L'ensemble était ensuite enfoui dans une fosse au-dessus de laquelle figurait une stèle en pierre gravée avec des motifs symboliques ou des inscriptions avec le nom du défunt. Des détails attestant un rituel funéraire comprenant l'organisation d'un repas ou d'un banquet ont été également relevés.
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Des formes et des détails nouveaux
Aujourd'hui, les stèles de la collection Jawad Adra, qui viennent s'ajouter aux 39 autres publiées par Hélène Sader dans sa synthèse de 2005, permettent de jeter « quelque lumière sur la vie de la cité et du royaume de Tyr dans la première moitié du premier millénaire avant J.-C. ». De plus, ces vestiges sont particulièrement précieux pour l'historien car « ils se rattachent apparemment à la classe moyenne de la société phénicienne, celle qui est rarement documentée à cette haute époque », soulignent les auteurs.
Dans un exposé détaillé, Gaby Abousamara et André Lemaire présentent 47 stèles avec inscriptions et 19 stèles anépigraphes avec iconographie, toutes « grossièrement » taillées dans la roche naturelle dite pierre ramlé. Elles sont décorées de motifs ou couvertes d'inscriptions sur une seule face. Leur dimension est modeste : 29 à 79 cm de hauteur. Leur largeur varie en fonction ou non de la présence d'une base ; mais la partie supérieure décline souvent 20 à 40 cm de largeur, pour 10 à 20 cm d'épaisseur. La moitié de ces pièces emprunte la forme d'un prisme rectangulaire plus ou moins régulier, « une forme déjà abondamment attestée dans le catalogue de Sader ainsi que dans les stèles d'ez-Zib/Akzib (Palestine) », précisent les deux spécialistes. Toutefois, trois pierres tombales présentent des formes et des détails qui n'existent pas dans le catalogue Sader : celle en forme de tronc de pyramide trapue ; celle percée d'un trou central, et la stèle avec tenon à la base. Dans le lot également, une pièce dont la partie supérieure est gravée d'une tête humaine et des stèles pourvues d'un sommet arrondi. Ces dernières sont « parmi les mieux taillées et présentent souvent des surfaces bien aplanies, avec une base élargie et un tronc pyramidal ».
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Les légendes en « images »
Les deux spécialistes expliquent, par ailleurs, les fonctions de ces pierres : l'indication de l'emplacement exact des restes du défunt ; son identification grâce à l'inscription de son nom, ou à l'iconographie, ou encore à la forme de la stèle, voire à « la gravure grossière de sa tête ». L'inscription pouvait mentionner son métier ou son père. Abousamra et Lemaire notent aussi que les niches sculptées dans certaines stèles pourraient avoir comporté une représentation divine, à moins qu'il ne s'agisse de celle du défunt lui-même.
Un chapitre est également consacré à l'inventaire des motifs iconographiques qui ornent les stèles de la collection, à savoir : le signe de Tanit, les hiéroglyphes égyptiens (tel « nfr » qui avait une valeur magique et était considéré comme un porte-bonheur), les bétyles, les motifs astraux, géométriques, végétaux et divers. Plusieurs stèles présentent des gravures ressemblant à des lettres de l'alphabet phénicien et/ou grec. Une seule pierre comporte un nom de divinité, en fait celui d'une divinité double : Ashtart-Isis. Quant à l'ankh, symbole de la vie en égyptien, il est « le signe le plus fréquent ».
Pour en savoir plus, se procurer les Nouvelles stèles funéraires phéniciennes (trilingue français, anglais, arabe). À acheter les yeux fermés, c'est du tout bon ! En plus, le collectionneur a brisé un tabou... Aussi, « il est à souhaiter que les propriétaires des autres stèles phéniciennes les fassent connaître par une publication scientifique qui permettra d'avoir une idée plus précise du cimetière de Tyr al-Bass, probablement le cimetière public principal de la cité et, par là, d'avoir des informations directes sur sa population pendant cette haute époque ».
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