À l'occasion du Synode qui s'ouvrira le 5 octobre, La Croix rend compte de la diversité des situations auxquelles sont confrontées les familles dans le monde.
Au Liban, compte tenu des incertitudes géopolitiques du Moyen-Orient, les familles sont confrontées aux nombreux départs, ou au non-retour, des enfants.
« Nous, chrétiens du Liban, craignons que nos petits-enfants ne mettent plus les pieds dans ce pays… » Les yeux de Raymond et de Jeanne Chemaly s'embuent de larmes lorsqu'ils évoquent l'avenir de leurs sept petits-enfants.
« Je ne vois pas ce qui pourrait les pousser à revenir vivre au Liban… Ayant grandi à l'étranger, ils n'auront pas le même besoin de retour à leurs racines. Tant que nous sommes là, ils le font, mais après notre mort ? » s'interroge Raymond, 80 ans, assis bien droit dans le salon ensoleillé de leur vaste maison de pierres jaunes, sur les hauteurs de Souhailé, gros bourg à 700 m d'altitude dans le Kesrouan, région maronite du Mont-Liban.
« À qui iront nos propriétés ? À qui les transmettrons-nous ? » enchaîne son épouse. Tous les deux le savent : compte tenu des incertitudes géopolitiques dans ce Moyen-Orient méditerranéen, aucun de leurs trois enfants ne quittera désormais son pays d'immigration pour revenir s'installer ici.
Des enfants aux Etats-Unis, en France, au Maroc
L'aîné, Kamal, 47 ans, marié avec une Française, Anne, est neurologue à l'hôpital de Santana, en Virginie (États-Unis) : leurs trois enfants reviennent chaque été passer quelques semaines chez leurs grands-parents.
Le deuxième, Zahi, 45 ans, est docteur en biotechnologie et a créé une usine de cidre sans alcool à Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor) : avec son épouse libanaise Marianne, il a deux enfants.
Quant à Maya, 42 ans, après des études de littérature et de musique, elle s'est mariée avec Antoine, ingénieur libanais, avec qui elle a deux fils, dont l'un vient d'intégrer HEC à Jouy-en-Josas (Yvelines). Depuis huit ans, ils sont installés au Maroc où Maya s'est lancée avec succès dans la composition de comédies musicales et l'animation d'une troupe de 80 choristes.
Difficulté de maintenir des liens
Cet été, les parents, les trois enfants et les sept petits-enfants Chemaly se sont retrouvés une semaine chez Maya au Maroc : « Cela faisait quatre ans que nous ne nous étions pas vus », précise Zahi, en soulignant l'importance de ces retrouvailles.
Certes, tout au long de l'année, les trois enfants sont en contact régulier par mail et par Skype : « Ils se tiennent au courant de leur quotidien et nous les appelons chacun deux ou trois fois par semaine », poursuit Jeanne.
Mais Raymond estime, « à la lumière de ce qui se vit dans d'autres familles amies », qu'il sera difficile pour ses sept petits-enfants de maintenir de tels liens. « Cette insécurité croissante, nous la partageons avec les chrétiens d'Alep ou de Mossoul ! » résume-t-il.
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Le couple porte sa peine en se rappelant « la longue histoire marquée de guerres, de souffrances et de misères » des chrétiens maronites libanais.
Pendant la Grande Guerre, des dizaines de milliers de maronites du Mont-Liban sont morts de faim, du fait des réquisitions systématiques des récoltes et denrées alimentaires par les troupes ottomanes, de l'embargo imposé par la flotte anglaise sur les côtes libanaises et de diverses maladies de plantes ou invasions de criquets.
Les prières apprises aux petits-enfants en arabe
« C'est la foi, depuis des siècles, qui nous a aidés à traverser toutes ces épreuves », insiste Jeanne. Avec son époux, elle a été responsable des Équipes Notre-Dame (END) au Liban de 1992 à 2010. Ce mouvement de spiritualité conjugale compte aujourd'hui une soixantaine d'équipes à Beyrouth, dans le Mont-Liban et dans la Bekaa, soit environ 300 couples.
« Nous devons beaucoup aux Équipes Notre-Dame pour le maintien et le rayonnement de notre foyer », estiment Raymond et Jeanne. Deux de leurs enfants assument, à leur tour, en couple, des responsabilités au sein des END : Kamal et Anne dans l'État de Virginie, et Zahi et Marianne comme « foyer de liaison » à Saint-Brieuc. « Les membres de notre équipe étaient pour eux comme des oncles et tantes », assure Jeanne.
« Nous emmenons nous aussi nos enfants aux réunions des END, une façon de maintenir les traditions », sourit Zahi. Son épouse a appris à leurs deux enfants, de 12 et 8 ans, le Notre Père et le Je vous salue Marieen arabe libanais. « Lors de notre prière en famille le soir, nous les récitons ensemble », explique Zahi, avec l'espoir que ses enfants continueront de les dire ainsi en arabe « même si un jour ils n'ont peut-être plus de lien avec le Liban ».
La « Ligue des Chemaly de Souhailé » pour maintenir le lien
« Nous nous disons que c'est peut-être Dieu qui veut que nos enfants choisissent de partir », réfléchit Raymond, ancien professeur de littérature française à l'université de Beyrouth. Cette conviction, le couple l'évoque souvent dans ses méditations : « Selon la charte des Équipes, nous sommes fidèles à la prière conjugale et familiale », confie Jeanne qui ne doute pas que ces intercessions quotidiennes soient aussi utiles que le téléphone pour maintenir l'affection par-delà les distances.
Une certitude que partagent Labib et Thérèse Chemaly. Ces cousins issus de germains, également installés à Souhailé, dans une maison plus ancienne, en contrebas de celle de Raymond et Jeanne, sont membres, tout comme eux, de la « Ligue des Chemaly de Souhailé » qui regroupe à travers le monde plus d'un millier de familles portant ce nom du Kesrouan.
Tous deux ont fait leur carrière dans l'enseignement catholique au Liban, elle comme professeur d'histoire et lui comme catéchète. Et ils voient s'éloigner leurs deux filles. Sandra, 32 ans, mariée à Patrick, né à Jounieh, a une fillette, Estelle, âgée d'à peine 4 ans.
Entre le Liban et l'étranger pour le travail
Comme beaucoup de Libanais en recherche de « stabilité financière », Patrick se partage entre son pays et l'étranger – notamment le Kenya, le Sénégal et l'Arabie saoudite – pour de l'import-export de matériaux de construction… Bientôt, le couple s'installera à Djedda, seconde ville d'Arabie saoudite, à deux heures d'avion de Beyrouth.
« Ce sera plus commode pour moi », assure Patrick qui constate que, dans sa promotion de Sciences-Po à l'université jésuite Saint-Joseph de Beyrouth, « 100 % des garçons sont partis travailler à l'étranger, tandis que la plupart des filles sont restées ici ».
Quant à Sabine, 30 ans, après ses études d'informatique et quelques années à Beyrouth pour une grande entreprise américaine, elle a émigré à Stockholm. Là-bas, elle a fait connaissance d'Anders Holck, protestant évangélique. « Ils se sont mariés civilement en Suède l'an dernier, et religieusement au Liban cet hiver », précise Thérèse en montrant le faire-part rédigé en suédois.
Une médaille miraculeuse
« Notre fille a gardé une foi profonde et fréquente la paroisse maronite de Stockholm », poursuit Thérèse en disposant des verres rafraîchissants de charab-el-toute (sirop de mûre traditionnel) et des mankouché (pizzas au thym ou au fromage).
Labib et Thérèse, qui se sont déjà rendus trois fois en Suède depuis 2011, communiquent avec Sabine plusieurs fois par jour sur Skype. « Elle n'a pas tant le mal du pays que le mal de la famille », sourit le père. « Avant son départ, je lui ai donné une médaille miraculeuse de la Rue du Bac, confie-t-il. Car c'est la Vierge qui nous protège ! »
Sabine l'a mise dans son porte-monnaie, mais un jour elle l'a égarée, avec tous ses papiers. Au bout de deux semaines, elle l'a retrouvée : « Un Irakien avait retrouvé son porte-monnaie sous la neige et le lui a rapporté… à cause de la médaille ! »
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Plus de quatre millions de Libanais à travers le monde
Selon les estimations les plus raisonnables, plus de 4 millions de Libanais vivent en diaspora, dont beaucoup possèdent une autre nationalité. Les plus importantes communautés libanaises sont installées aux États-Unis (1,3 million) et au Brésil (1 million), suivies de celles d'Argentine (650 000) et d'Australie (368 000).
Il existe aussi d'importantes communautés au Canada (250 000, dont 140 000 au Québec), en France (225 000), en Colombie (180 000) et en Équateur (108 000). La Côte d'Ivoire est le pays africain qui compte le plus de ressortissants libanais (60 000, majoritairement chiites), suivie par le Sénégal (25 000).
Envoyé de mon Ipad
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