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14/11/2012-Saint Louis au Liban, un roi qui parvint à rétablir la paix parmi les chrétiens d'Orient
En cette année 2014, plusieurs anniversaires se présentent à notre mémoire. Le premier rappelle la terrible année 1914. Le second veut se souvenir de l'assassinat de Jean Jaurès. Nous pouvons nous attarder sur le fameux « Dimanche de Bouvines » du 27 juillet 1214. Aujourd'hui, après l'anniversaire de sa mort le 25 août, je voudrais marquer les 800 ans, aussi, de la naissance du futur roi Saint Louis, le 25 avril 1214.
Est-il possible d'être roi et saint ? De plus, les vertus chrétiennes sollicitent une sorte de sacrifices et de mortifications permanents qui pourraient paraître contradictoires avec l'autorité que demande le titre de roi. Par extraordinaire, Louis IX, en quarante-quatre ans de règne (1226-1270), porta la force de l'autorité royale à une hauteur à nulle autre pareille, avec une évidente atmosphère de sainteté. Particularité supplémentaire de cette remémoration : ce roi de France passa quatre ans au Liban et dans ses environs, de 1250 à 1254. Il serait intéressant de savoir comment ce roi s'y prit dans cet « Orient compliqué » pour ne pas perdre son aura de perfection qu'il avait su déjà acquérir. En effet, nous savons que tel qu'en lui-même, il demeura roi dans sa voie sanctifiante, même au Levant. Il me semble que de sa manière si particulière de gouverner, nous pourrions tirer des fruits, même à notre époque. Depuis 800 ans, le cœur des hommes est toujours animé des mêmes passions. Les diriger reste une science demandant beaucoup d'art.
Faut-il rappeler la fameuse lettre de Saint Louis écrite à Chypre au sujet des maronites et dont certains contestent l'authenticité ? C'est un autre sujet.
Quand le roi vint en Terre sainte il y avait toujours des principautés latines mais Jérusalem avec la majorité de la Palestine obéissait aux émirs ayyoubides en lutte avec les Mamelouks. Dans le camp adverse, il y avait aussi des conflits internes. Le roi de France n'était pas triomphant, loin de là ; après la défaite de Mansourah, il venait de se libérer de son état de prisonnier en ayant payé une forte rançon au sultan d'Égypte. Ce n'était pas une arrivée sous les meilleurs auspices. Il aurait pu repartir vers les rivages méditerranéens de son royaume ; il avait suffisamment payé dans tous les sens du terme. Toutefois, il est à noter que même dans sa position de prisonnier, à laquelle il faut ajouter une crise de dysenterie, le sultan mamelouk d'Égypte ne douta jamais de sa royauté et de son autorité. Souvenons-nous des fameux chevaliers s'en revenant vers la prison, n'ayant pas pu réunir la somme pour être libérés tandis que lui pouvait aller. Enfin libre ! Après une courte réflexion, derechef, en contrepartie de la libération des chevaliers, il s'en retourna vers son lieu de rétention, qu'il venait de quitter. Après avoir repayé et une fois totalement libre, il préféra aller vers le Levant, malgré le pressant appel au retour de sa mère. Il laisserait encore son royaume sous la régence de sa mère, l'excellente reine douairière, Blanche de Castille.
Favoriser l'entente
Allait-il tenter encore une fois une bataille décisive ? Rentrer à Jérusalem la lance à la main après une victoire ! Peut-on imaginer événement plus naturel pour un roi du Moyen Âge ? Eh bien non ! La chronique retient : « Qu'il mit les principautés en meilleures défenses en terminant les constructions inachevées. Il rétablit la paix et la concorde parmi les chrétiens. » Ayant eu la triste nouvelle de la mort de sa mère, dont il fut très affecté, il repartit vers le royaume de France le 24 avril 1254. Quatre ans étaient passés. Dans l'ardeur de ma jeunesse, je trouvais cette période bien décevante; l'ambition naturelle aspire à plus de gloire. J'imaginais moult chevauchées. Maintenant, je vois les événements autrement. Ayant vécu quelques décennies au Liban, le fait de pouvoir « établir la paix et la concorde parmi les chrétiens », je me dis qu'il faut rien moins qu'un roi de France, saint de surcroît, pour y arriver.
En lisant plusieurs ouvrages, nous pouvons voir comment il procédait. Il ne partait pas d'un projet de transformations fondamentales ; une Constitution nouvelle, une législation écrite bien équilibrée. Il demandait simplement d'abord que les personnes et les choses soient ce qu'elles doivent être. Le seigneur se plaignant d'un voisin turbulent était-il lui-même un bon vassal vis-à-vis de son roi ? Comment traitait-il ses propres vassaux ? Voilà comment le roi parvenait à modérer sa noblesse tout en augmentant son autorité. Le sommet de cette attitude fut quand le pape Innocent IV vint se mettre sous sa protection à Lyon, chassé de Rome par l'empereur Frédéric II, « stupor mundi », en 1245, trois ans donc avant la croisade. Ayant un caractère bien affirmé, Sa Sainteté demandait même au roi d'attaquer l'empereur excommunié ! Une ambition normale aurait profité d'une occasion si belle pour étendre son pouvoir en Italie. Tout le parti guelfe papal l'aurait soutenu contre les gibelins impériaux. Le roi préféra annoncer solennellement que l'empereur et le pape devaient s'entendre. Frédéric II de Hohenstaufen, en appelant de son autorité impériale, supérieure à celle des rois, voulait qu'il le lui livre. Cet évêque de Rome était un de ses sujets. Non ? Cependant, le roi sut lui dire de ne pas s'attendre à cela. Ensuite, l'empereur du Saint-Empire ne devait pas espérer le poursuivre jusque sur les terres relevant du royaume de France car il y rencontrerait son ost. Ainsi gouvernait Saint Louis à l'extérieur comme à l'intérieur. Entre le bourgeois commerçant et l'artisan fabricant quel est le juste prix ? 10 % de marge, 30 %, certains vont jusqu'à 300 % ! Cela paraît impossible à établir dans l'absolu. Le roi se penche sur un cas bien particulier, sans a priori. Est-ce de l'or, du diamant ou même une rare relique comme la couronne d'épine ou un clou de la Passion ? Alors l'évidence s'y révèle.
Fixer des limites
Lors de son arrivée à Saint-Jean-d'Acre le 13 mai 1250, le royaume de Jérusalem n'avait pas de roi effectif depuis vingt ans ! Ce n'était qu'un titre. Il revenait à Conrad IV fils du fameux empereur Frédéric II. Mais ce roi-là préférait d'abord s'assurer de la réalité de ses autres titres ; empereur du Saint-Empire, roi de Sicile et de Naples. Ainsi nous comprenons aisément les raisons de l'anarchie ambiante. Les ordres religieux militaires ; Templiers, Hospitaliers et Teutoniques prenaient leurs aises. Ils avaient tendance à confondre leurs fonctions cléricales de secours et de protections avec les nécessités de la gestion de leurs activités financières. Malgré leur discipline, leurs organisations, ils ne purent se substituer à la société civile féodale. Avec fermeté mais sans esprit vindicatif, le roi fixa leurs limites dans chaque cas litigieux.
Nous terminerons avec un autre cas profondément psychologique. C'est une intervention particulièrement délicate du roi vis-à-vis d'une mère abusive maintenant son fils sous tutelle. Nous pourrions y voir un effet de miroir entre lui et le cas à trancher, tant il y a de similitudes. Cependant nous savons les différences avec les vrais liens existant entre Blanche de Castille et son fils !
Lucienne Conti de Segni
Lucienne Conti de Segni est une princesse d'Antioche par mariage. Elle était fille de Paolo Conti, comte de Segni. C'est la petite-nièce du pape Innocent III. Elle porte le même nom de famille, elle en a le même caractère autoritaire. Cette famille offrit trois papes à l'Église. Le mariage avec Bohémond V, prince d'Antioche et comte de Tripoli, avait été voulu par le pape dans le but d'augmenter son influence en Orient, mais aussi de favoriser une réconciliation entre les Églises de Rome et d'Orient. À la mort de son mari en 1252, elle devint naturellement régente pendant la minorité de son fils de quinze ans. Elle séjourne le plus souvent à Tripoli, au château de Saint-Gilles. Contrairement au but visé par le pape, son oncle, elle délaisse Antioche. Le siège de divers patriarcats devient alors le lieu de luttes religieuses et ethniques entre les populations latines, grecques et arméniennes. Cependant la régente très autoritaire, bon sang ne saurait mentir, gardait son fils Bohémond VI (1237 -1261) sous une étroite tutelle. Celui-ci profite d'une visite que sa mère et lui faisaient au roi de France. Il se trouvait alors à Jaffa dans les restes du royaume de Jérusalem en Terre sainte. Le jeune Bohémond demande l'aide du roi. Impressionné par la valeur du prince, le roi l'arme lui-même chevalier. Il oblige Lucienne de Segni à mettre fin à sa régence, afin que Bohémond puisse redresser la situation à Antioche et gouverner les deux principautés. Sûrement que le roi patronna, ensuite, le mariage du jeune prince avec la jeune Sibylle, fille du roi d'Arménie Héthom Ier. Voilà, une manière d'améliorer une entente entre l'Orient et l'Occident. Aucune sombre intrigue, nul exil dans un couvent ne viennent entacher une nécessaire évolution entre un fils adolescent et une mère encore jeune.
Quand quelques siècles plus tard la France tomba dans la Révolution sanglante, elle eut un juge terrible : Fouquier-Tinville. Devant un aristocrate ancien ministre du roi, que son avocat présentait comme innocent, il répondit cyniquement ; « On ne gouverne pas innocemment ! » Ensuite il l'envoya à la guillotine. En observant le dur spectacle passé et actuel de la vie politique de l'Orient, je me dis parfois qu'ici, on ne peut gouverner que criminellement. Il est heureux que dans des temps que l'on se plaît à dire plus rudes, le Moyen Âge, un roi de France put redresser et gouverner cette région avec sainteté. Bien qu'apparemment il n'y eut que le bon sens et le raisonnable pour présider ses actes. Nous pouvons presque être déçus par le manque de merveilleux. On n'y trouve pas les historiettes, « fioretti », qui accompagnent l'hagiographie avec enluminures d'un saint d'autrefois. Rien ne nous empêche, cependant, de payer l'ouvrier de la onzième heure avec le même salaire que celui de la première ; en Orient cette fameuse parabole prend une force solaire très particulière. Une fois de retour dans son royaume de France, le roi s'imposa de telles mortifications qu'elles dérangèrent parfois son entourage. Notons les plus notoires ; noyer dans son assiette la saveur des mets avec de l'eau, flagellations dans l'intimité de sa chambre, et enfin le fameux baiser sur les plaies d'un moine lépreux. Toutefois, il n'obligea personne à le suivre dans cette voie ardue. Néanmoins, il n'oublia jamais d'exercer la plénitude de son office royal. L'ascèse chrétienne n'était qu'un plus dans l'art de vivre et de régner.
Envoyé de mon Ipad
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